Romanticide

Vieille peau fripée à pustules

Viviane savait que de ce rendez-vous dépendraient bien des choses. Il était indispensable que tout se passe le mieux possible, mais puisque c'était Antoine qui procéderait à l'échange, elle ne craignait pas grand chose. D'un commun accord, ils avaient choisi un lieu discret et neutre pour la rencontre : l'Auberge de la Place du Marché était un endroit tout désigné. On pouvait s'y installer et boire quelques verres sans quiconque ne vous prête attention. Viviane avait fermé le commerce tôt aujourd'hui, pour le peu de clients qu'elle avait eu, elle ne perdait pas grand chose. Au début, quand les affaires avaient commencé à aller moins bien, la commerçante avait pensé que ce n'était qu'une mauvaise phase, mais depuis quelques temps, elle avait l'impression que le problème était plus profond. La situation économique n'était pas mauvaise, et il n'y avait pas eu de régression de la qualité de son service, dès lors pourquoi ces problèmes ? Problèmes d'ailleurs que Louisa ne rencontrait absolument pas. Sans être trop inquiète, Viviane songea à analyser ses comptes en détails le lendemain pour voir où le commerce Valdemar en était exactement.

Son regard balayait la salle, tentant de repérer si Antoine était arrivé, mais elle ne l'aperçut pas. Agacée qu'il se permette d'être en retard pour un rendez-vous aussi important, elle prit une nouvelle gorgée de cidre pour se donner contenance. La salle était bruyante et enfumée, dans l'âtre, un chaudron dont le contenu bouillait paresseusement achevait de saturer l'atmosphère d'odeur écœurantes. Viviane brûlait de partir, mais elle ne pouvait pas, pas encore. Europe savait qu'elle avait rendez-vous ce soir et sa Prêtresse n'avait aucune envie de lui donner de bonnes raisons de la mettre à une retraite anticipée de sa place au sein de la Tribu. Un jeune soudard tenta de venir prendre la place qu'elle gardait pour Antoine, mais elle eut tôt fait de le chasser, bien qu'elle fut flattée d'être encore admirée et courtisée malgré son âge. Un petit sourire flottait sur ses lèvres désormais, et elle s'absorba dans la contemplation de la faune qui se déployait devant elle. Des jeunes au plus vieux, pas un n'avait pas un verre de bière ou de cidre dans la main. Certains étaient dans un état d'ébriété déjà avancé alors que la soirée avait à peine commencé.

Ce genre de comportement échappait à Viviane qui ne comprenait pas le plaisir qu'on pouvait éprouver à perdre le contrôle de soi. C'était laisser la porte ouverte à tous les débordements possibles et imaginables, ce qui se produisait d'ailleurs régulièrement. Quel homme dans cette ville ou dans n'importe quelle autre pouvait se vanter de n'avoir aucune cicatrice de rixe de taverne ? Très peu d'entre eux en tout cas. Elle songea avec amusement qu'elle devrait peut-être demander à Antoine si lui aussi avait l'une ou cicatrice de sa vie de jeune et fougueux mâle à la recherche d'une épouse. Elle l'imaginait mal se mêler à cette faune, mais cela faisait partie des traditions et de la culture de leur monde. Son agacement de ne pas voir Antoine arrivait eu vite raison de cette bonne humeur. Pour qui se prenait-il de la faire attendre alors même que la conversation qu'ils devaient avoir était d'une importance capitale ? Depuis le temps qu'elle attendait maintenant elle songeait sérieusement à se rendre directement chez lui pour lui dire ses quatre vérités quand elle aperçut une jeune fille au visage vaguement familier fendre la foule dans sa direction.

Viviane avait reconnu le visage d'Elena Mirova, une demoiselle d'Olrun autrefois qui s'était détournée des siens pour aller rejoindre le Lys Noir. Que faisait-elle ici, et où était Antoine ? Cette situation était loin de plaire à Viviane qui songeait à refuser de faire l'échange au moindre soupçon envers la jeune femme. Quand elle s'assit en face d'elle, Viviane ne recula pas d'un pouce, ne voulait pas céder une once de terrain à l'ennemie.

« Ce n'était pas vous que j'attendais. Où est Antoine ? »

Le ton n'était pas agressif, mais loin d'être aimable. Viviane voulait se montrer ferme, quand des choses aussi importantes étaient en jeu, elle ne pouvait pas se permettre de laisser le hasard diriger les choses. Si Antoine n'était pas au rendez-vous, c'est qu'il devait avoir une bonne raison. Sinon, le Lys paierait cette insulte.

Aguerri(e)

C'était décidément un drôle de jour. Alors qu'Elena se rendait naturellement aux sous-sols hébergeant le clan du Lys un apprenti renversa le contenu de sa gourde d'eau sur sa robe en la bousculant. Elle avait froncé les sourcils et dis au jeune homme de regarder où il allait tout en maugréant qu'elle aurait froid en sortant avec cette tâche d'eau. Et puis elle était partie prier tranquillement avant qu'Antoine vienne la voir et lui demande un entretien en privé. Ils s'étaient retirés à l'écart tout deux et il lui avait demandé un service en échange de sa paix spirituelle. La jeune femme avait clairement une dette envers lui et n'aurait su refuser. La tâche n'était pas compliquée, il fallait procéder à un échange de connaissances entre Lys et Olrun. Il voulait y procéder mais ne le pouvait hélas pas. Elle lui demanda si tout allait bien. Il avait hoché le chef et donné une lettre manuscrite dans laquelle il expliquait qu'elle le remplacerait pour l'échange.

Un échange d'indice. Pour comprendre ce qui se tramait derrière cet "Ange" et ce stigmate sur le front de certains habitants. Lys et Olrun décidait pour une fois de faire front commun même si chacun déchiffrerait ces indices d'une façon peut-être différente. Elle était donc repartie. Elle avait ressassé cette entrevue dans son esprit pendant le reste de la journée se demandant ce qui pouvait bel et bien empêcher Antoine de ne pas se présenter au rendez-vous. Et surtout, il semblez y tenir à ce rendez-vous. Il avait la mine si déconfite en parlant de son absence. Comment refuser à cet homme ce qu'il désirait avec un regard aussi apitoyant. Même si ce n'était pas si prononcé, on sentait que le prêtre aurait voulu plus que tout au monde être là.

Prenant son cheval dans une tenue moins riche que de coutume, elle rejoignit l'Auberge, lieu de leur entrevue. L'odeur d'urine empestait le quartier et quand la jeune femme ouvrit la porte de l'Auberge, elle sentit le flot de puanteur lui prendre la gorge. Asphyxiée par cette bouffée d'immondices, elle évolua dans l'unique grande pièce pour trouver Viviane Valdemar. Elle eut un moue de dégoûts et ne su pas si c'était pour cette femme ou pour les émanations qui souillait son air. Elle finit par s'approcher de la table et s'assit en retirant sa capuche. Ses cheveux coulaient le long de son visage, le masquant légèrement pour rester dans la discrétion. La sorcière eu pour la fille Mirova un accueil des plus délectables.

Ce n'était pas elle qu'elle attendait. Effectivement, à moins de la confondre avec un homme robuste et d'une quarantaine d'année, elle n'était pas Antoine Vaudremont. Affichant un sourire crispée, elle se contenta de rétorquée calmement son explication.

"Effectivement Antoine n'est pas là et ne viendra pas. Il a eu un empêchement dont j'ignore complètement la nature et s'excuse par avance de la gène occasionnée."

Elle lui tendit la lettre roulée dans un ruban de satin rouge et portant le seau du prêtre en bas de la page. Elle la laissa lire calmement et congédia avec gentillesse l'homme qui venait prendre sa commande. Elle ne comptais pas s'éterniser ici, d'autant plus que Viviane n'avait jamais été quelqu'un qu'elle appréciait. Elle lui avait fait peur étant jeune. A présent, Elena ne la voyait guère plus que comme une ennemie, une de ces personnes qui pensaient qu'user de la magie était plus que dangereux et qu'il ne fallait rien tenter. Mais qui ne tente rien n'a rien, alors elles allaient tenter quelque chose ce soir. Un échange de bon procédé.

[hrp] désolée si ya pleins de fautes, je suis très fatiguée mais je sais que c'est urgent[/hrp]

Vieille peau fripée à pustules

Viviane prit sans broncher la lettre des mains de son interlocutrice. Dedans, Antoine expliquait qu'il n'avait pu venir au rendez-vous parce qu'il était malade. Elena était là, mandatée par lui, et l'échange se ferait tout de même. Malgré le sceau en bas de la page, Viviane doutait, elle avait peur d'être encore attirée dans un piège du Lys où de nombreuses personnes mourraient. Mais Elena n'était encore qu'une enfant, et même si elle s'était tournée vers l'ennemi, la Prêtresse avait du mal à l'imaginer en train de tenter de l'assassiner après qu'elle lui eut révélé l'indice qui avait été révélé à la Tribu.

« Je n'ai pas envie de vous faire confiance, mais je crois que je n'ai guère le choix. Vous obtiendrez ce pour quoi vous êtes venue. J'aimerais cependant que vous transmettiez un message à Antoine. Je n'ai pas de plume, aussi je demande de bien retenir ce que je vais vous dire. »

Le propre son de sa voix étonnait Viviane, ferme, directrice, elle ne laissait aucun choix à son interlocutrice qui devrait se contenter de retenir le mieux possible ce qu'elle allait lui dire. Il ne s'agissait pas de régler ses comptes avec Antoine pour son absence, mais plutôt avec le Prêtre du Lys qui n'avait pas assumé sa charge jusqu'au bout. Elle avait beau l'apprécier plus que grandement, Viviane ne tolérait pas ce genre de manquement à une conduite. Devant elle, Elena semblait en partie effrayée, Viviane se rendit compte qu'elle avait certainement un certain ascendant psychologique sur elle de par sa position au sein de la Tribu et de son ancienneté.

« Quand il s'agit de chose aussi importante que ce qu'il est en train de se passer ici, on ne délègue. La seule raison valable pour laquelle il n'aurait pas pu venir, c'est qu'il soit décédé. Or, ça ne semble pas être le cas. Je ne doute pas de vos compétences, Elena, mais je doute de votre autorité. Je ne devrais pas voir comme une insulte qu'une simple aguerrie se déplace pour un échange aussi important ? N'avez-vous donc de respect pour rien chez les vôtre ? »

Malgré tout ce qu'elle disait, Viviane ne pouvait se mentir à elle-même. Elle était fortement peinée qu'Antoine ne vienne pas lui-même. S'il était vraiment malade, comment a-t-il transmis ce mot à Elena sans qu'elle ne remarque qu'il n'allait pas bien ? Viviane se découvrait faible et vulnérable pour tout ce qui avait attrait à Antoine. Depuis cette terrible nuit d'orage, elle s'était attachée à lui bien plus qu'elle ne l'aurait cru possible. Pourtant, sa raison lui empêchait de faire totalement confiance à Antoine, parce qu'il était du Lys, parce qu'il avait abandonné les siens, parce qu'il était entier et intolérant. Mais ce n'était pas le moment de repenser à tout ça, et Viviane concentra toute son attention sur la jeune femme assise en face d'elle. D'un geste de la main, elle l'invita à se pencher et prit la parole.

« Je vais vous donner ce pour quoi vous êtes venues. Voici ce que nous savons... »

Les mots sortaient de sa bouche à un volume sonore si bas qu'Elena devait sans doute se concentrer de toute ses forces pour discerner ce qu'elle disait au milieu du brouhaha ambiant. Viviane, elle, fixait toute son attention sur les gens qui les entouraient. Avaient-elles été repérées ? Quelqu'un cherchait-il à écouter ce qu'elles disaient. Il lui semblait que non. Mais maintenant, elle se sentait une cible facile. L'Auberge était-elle un lieu si judicieusement choisi que ça ? Viviane n'en n'était plus si sûre maintenant, deux femmes discutant dans l'ombre, était-ce vraiment discret ? Elle se sentait si vulnérable au milieu de cette foule d'ivrogne. Il fallait mettre un terme à cette entrevue le plus rapidement possible.

Aguerri(e)

Viviane n'était pas heureuse de la tournure que prenait son entrevue, à peine commençait-elle. Elle lut la lettre que lui tendait son adversaire et laissa sa méfiance se peindre sur ses traits. C'était bien évidemment compréhensible, elle aurait pu se débarrasser d'elle sur le champ après avoir dit ce qu'elle avait à dire. Elena craignait que l'échange ne se fasse pas, donc qu'elle soit venue pour rien et le début de la réponse de Viviane la conforta dans cette crainte. Mais elle lui expliqua qu'elle n'avait pas le choix. Peut-être ne voulait-elle pas perturbée le fragile équilibre qu'elle semblait avoir instaurée avec le prêtre du Lys Noir. Il y avait entre eux une relation qui semblait bien complexe, Elena le ressentait sans pour autant affirmé quel type de relation cela pouvait être. De l'amitié renaissant parmi les cendres peut-être?

Qu'importe ce que c'était, Viviane ne laisserait pas passer cette absence et donna à Elena un message à transmettre. Elle aurait aimé lui rétorqué qu'elle n'était pas un pigeon voyageur et qu'elle n'avait qu'à lui écrire une missive, mais elle n'en fit rien tentant de conserver un visage neutre et protocolaire et de taire ses pulsions quelles qu'elles soient. Mais Viviane avant de la chance, Elena avait une très bonne mémoire et elle ne perdrait pas une miette de ce message. Elle se permit de la traiter de simple Aguerrie. Elle était peut-être Aguerrie, mais elle au moins était présente contrairement à Antoine! Elena crispa légèrement sa mâchoire sans rien dire pour autant. Oui, elle ne doutait pas de ses compétences, mais elle ne pouvait clairement pas l'encadrer et elle avouait largement à mots couverts pourtant que ça lui donnait bien du dégout de devoir lui dévoiler à Elle, l'indice que possédait Olrun. Serrant la main sous la table, la jeune noble resta muette pour ne pas interrompre ce message qui tenait plus du parchemin. Puis elle se tut enfin et semblait se perdre dans son esprit quelques secondes avant de donner ce pourquoi elle était venue. Encore une chose à retenir. Ce que la jeune femme fit sans aucun mal.

Elle planta ses yeux dans le regard de Viviane sans dire un mot. Elle laissait le temps filer. Un homme ivre s'approcha d'elles et tomba à leur pied. Alors qu'il se relevait tant bien que mal il fixa les deux femmes avec un oeil malsain. Elena le foudroya des yeux et l'attrapa par le col dans un geste vif et quasi instinctif.

"Vous feriez mieux d'arrêter de boire mon cher... et d'aller voir ailleurs!"

L'ivresse avait beau avoir raison de lui, le regard si violent qu'Elena lui jeta le fit partir sans qu'il demande son reste. La jeune femme se recadra face à Viviane et se pencha vers elle naturellement, murmurant ce qu'elle se devait de savoir. A présent pour sauver les apparences il ne fallait pas quitter l'Auberge dans l'immédiat. La jeune femme changea de ton et sourit, comme si elle avait en face d'elle une très bonne amie.

"Je suis heureuse d'avoir pu te revoir. J'espère que ton frère se portera mieux après tout cela."

Elle ne parlait ni trop fort ni trop bas, c'était tout juste. Et elle espérait que Viviane comprendrait son stratagème. Elle se redressa et attrapa le bras de Viviane tout en lui murmurant de lui faire confiance.

"Sauvons les apparences voulez-vous."

Elle lui tendit son bras pour qu'elles sortent bras dessus bras dessous pour que tout doute soit dissipé. Elena se sentait nerveuse, elle voulait fuir ces odeurs, ce contact et cette sorcière le plus vite possible. La main crispée dans sa robe, l'autre tentant de ramener Viviane vers elle, elle cru voir des heures défilées devant elle au ralenti.