Demandez et l'on vous donnera [Mt 7:3]

Oblivius

"Demandez et l'on vous donnera; cherchez et vous trouvez; frappez et l'on vous ouvrira. Car quiconque demande reçoit; qui cherche trouve; et à qui frappe on ouvrira. Quel est d'entre vous l'homme auquel son fils demandera du pain, et qui lui remettra une pierre ? Ou encore, s'il lui demande un poisson, lui remettra-t-il un serpent ? Si donc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus votre Père qui est dans les cieux en donnera-t-il de bonnes à ceux qui l'en prient !"

Il y avait eu tant d'agitations ces derniers temps. Tant de nuages au-dessus de Forbach. Ethan en avait presque oublié le chemin de son église.
L'ambiance de la collégiale, son lieu de vie, s'était nettement assombrie. C'était comme une casserole de lait qu'on aurait laissé débordé. Après la fièvre, l'effervescence de l'Inquisition, qui avait cru toucher au but, avait eu l'orgueil d'avoir enfin touché les sorcières au coeur, ils n'en étaient pas ressortis grandis, mais salis.
Après toutes ces années, ils en étaient rendus à se soupçonner entre eux. Et l'atmosphère de la collégiale en était devenue détestable. De petits coups d'oeil en coin, des murmures à peine étouffés.
Mais lui, Ethan, qu'en pensait-il, de ces noms lâchés ? Oh bien sûr, celui qui retenait le plus son attention, c'était celui de Cassandra.
Son amie très chère.
En vérité, il ne savait pas comment nommer les sentiments qui l'agitaient. Trahi ? Non pas vraiment, rien n'était établi. Doutait-il ? Il n'était pas sûr. En fait, il était indécis. Ce n'était pas à lui de questionner Cassandra sur ce point. Elle aurait à s'expliquer. Et une fois que cette histoire serait fixé, il saurait ce qu'il ressentirait. Mais il ne lui appartenait pas de juger. "Ne jugez pas, afin de n'être pas jugés. Car du jugement dont vous jugez on vous jugera".
Ce n'était pas son rôle, non toujours pas le sien.

Ethan secoua la tête. Cette situation le préoccupait, sans qu'il se sente de taille à faire quelque chose, sans qu'il songe à quelque chose d'utile à faire.
Pour retrouver un peu de sérénité, il s'était réfugié dans l'église.
Elle était déserte, comme souvent. Surtout juste après les Laudes. Il faisait frais dans la sainte bâtisse, mais pas froid.
Le prêtre inspecta rapidement les lieux, essuyant un peu de poussière ici, nettoyant la cire coulée des cierges là. Dans ces tâches simples, il trouvait un certain réconfort, vu la confusion qui l'habitait.
Enfin, il s'assit simplement sur l'un des bancs, et respira, de tout son être, l'odeur caractéristique du lieu : un peu d'humidité, un vague souvenir d'encens de l'office passé, les fleurs près de l'autel, qui rappelaient que le printemps avait fini par arriver.
Et, partout, la rassurante présence du Seigneur.
Ethan ferma les yeux et se laissa imprégner de la sérénité du lieu.
Sérénité qui fut bientôt troublée, mais non brisée, par le grincement typique de la porte, que l'on referma avec précaution, et des pas, légers, discrets.
Ethan sourit. Il ne savait pas qui venait d'entrer, mais ce qui l'amusait, ou plutôt, le contentait, était de noter à quel point tout le monde ralenti, sans le vouloir vraiment, dans une église. On parle doucement, on marche avec une certaine déférence, le temps lui-même ralenti.
Les pas se rapprochant de lui, l'ecclésiastique se leva, et se retourna, pour apercevoir une figure juvénile coiffée d'un voile de moniale.

Soldat de l'Inquisition

Depuis son arrivée, Béatrice venait tous les jours se recueillir dans l'église de Zetting avant de se rendre à la Collégiale. D'ailleurs, depuis qu'elle était arrivée en ville, elle n'avait jamais croisé personne dans l'église. Mais qui donc y officiait ?
Ce jour là, pourtant, lorsqu'elle poussa les lourdes portes pour venir prier au pied de la croix, elle ne put que remarquer une silhouette assise sur l'un des bancs, vers la nef. Poussée par une curiosité tout à fait légitime, elle avança lentement vers cette personne, ses pas résonnant dans le silence de l'église.
En passant devant la croix, elle se signa avant de poursuivre sa route vers la personne qu'elle avait aperçu.

Il s'agissait d'un homme, sans doute le prêtre qui officiait ici. Elle arriva enfin à sa hauteur, au moment où il se levait pour se tourner vers elle. Elle sourit timidement.

"Bonjour... Êtes-vous le Père Ethan ?"

A la Collégiale, on lui avait donné son nom, mais elle n'avait pas encore eu l'occasion de le croiser. Elle le rencontrait enfin ! Mais elle-même devait encore se présenter, car elle était après tout une nouvelle venue dans la ville... Même si cela faisait déjà quelques semaines qu'elle était ici.

"Mais permettez-moi de me présenter. Je suis Soeur Béatrice."

Elle esquissa un geste de tête en guise de salut discret.

"Je suis arrivée il y a environ trois semaines, et je n'ai pas encore eu le plaisir de vous rencontrer, mon Père..."

Elle avait eu tant à faire qu'elle avait à peine eu le temps de passer une dizaine de minute par jour à l'église, malgré son désir d'être plus présente auprès du Seigneur. Aussi, tomber sur le Père Ethan aujourd'hui lui faisait véritablement plaisir. Et puis cela tombait bien, il y avait plus d'un mois qu'elle ne s'était pas confessée...

Oblivius

Ethan sourit à la nouvelle arrivante, de ces sourires vrais et sincères qu'il réservait à ceux qui venaient le trouver dans son église. D'autant plus que la nouvelle venue souriait avec timidité. Toutefois, ses yeux bleus dépareillaient avec l'apparente innocence et fragilité de la jeune fille, annonçant sans qu'elle en soit sans doute consciente, une grande détermination.
Lorsqu'elle lui demanda s'il était bien le père Ethan, il hocha la tête, mais avant qu'il ait pu continuer, elle se présentait déjà.
C'était donc elle, la fameuse soeur Béatrice. Qu'elle était jeune ! On ne lui avait bien sûr pas affirmé qu'il s'agissait d'une femme mûre, mais il ne s'attendait pas à voir une jeune fille qui ne comptait pas plus que quelques printemps que Narcissa de Saint-Loup.
Sûrement une enfant qui, comme lui, avait été voué aux ordres dès sa naissance.

"Ma fille, je suis enchanté de faire votre connaissance. Et malgré le fait que vous soyez déjà parmi nous depuis quelque temps déjà, je veux vous souhaiter la bienvenue. Je suis navré, j'aurai dû moi-même venir me présenter à vous, mais vous arrivez ...en des temps agités, comme vous avez pu le constater."

Ethan passa une main un peu nerveuse dans sa barbe de trois jours. Il avait manqué à ses devoirs. Mais bon, ce qui était fait était fait, et l'erreur venait d'être réparée.

"Je vous invite d'ailleurs, si vous avez besoin de quelque chose, si vous avez une question, ou simplement besoin d'un conseil, ou même d'une oreille attentive, je me tiens à votre entière disposition.

L'ecclésiastique avait envie de lui poser certaines questions, de savoir d'où elle venait, pourquoi une nonne si jeune avait quitté son couvent pour rejoindre le siècle, et même l'Inquisition, mais il ne dit rien. Ce n'était pas à lui de faire la commère, et si elle avait envie de parler de cela, eh bien...elle le ferait !

"Mais je parle...et... peut-être souhaitiez-vous simplement vous recueillir. Je suis désolé. Je peux faire quelque chose pour vous, peut-être ?

Soldat de l'Inquisition

Père Ethan avait raison, l'arrivée de Béatrice s'était faite en des temps plus qu'agités. L'Agent du Diable multipliait impunément les cadavres, et l'une des plus grandes sorcières de la ville avait fait un grand coup d'éclat lors de son arrestation ratée. Rien de bien glorieux pour les inquisiteurs présents à Forbach, qui avaient agi comme des incapables d'après la majorité de la population. Et la religieuse qui arrivait à ce moment-là, qu'on avait immergé bien trop vite dans l'action, et qui avait failli être tuée par une femme enceinte. Si l'on omettait la situation actuelle, c'en eut été presque comique.

L'homme d'église lui déclara être à sa disposition si elle avait une question à poser, ou encore besoin d'un conseil ou d'une oreille pour l'écouter. La jeune femme sourit plus largement en le remerciant, puis il se dit qu'elle souhaitait peut-être rester seule, et lui demanda s'il pouvait faire quelque chose pour elle.

"Et bien, à dire vrai... Je n'ai pas eu l'occasion de me confesser depuis plus d'un mois, mon Père... Et j'avoue que j'en aurais bien besoin..."

Tant de choses à confesser. D'abord, il y avait eu ses retrouvailles avec David, qui avaient ravivé tant de souvenirs et d'émotions étranges. Puis sa colère contre la Comtesse de Saint-Loup, transformée en colère contre sa propre mère. Ensuite la haine envers Louisa Zimmerman, cette folle furieuse qui avait manqué l'étrangler. Et enfin cette rencontre avec Luc, et ce qui en avait découlé... Oui, vraiment, elle avait désespérément besoin d'en parler, de confesser tous ces péchés au Seigneur afin qu'il la pardonne et qu'il lui donne la force d'aller de l'avant.

"Je suis tellement heureuse d'être ici, mon Père. Pourtant, depuis mon arrivée beaucoup de choses ont changé en moi... J'ai l'impression que cette ville est maudite..."

Elle chuchota cette dernière phrase, comme si elle craignait que quelqu'un l'entende.
Réellement, elle avait peur. Mais ce n'était pas une de ces peurs violentes, à la limite de la phobie. Non, il s'agissait plutôt d'une peur sourde, due à une appréhension, une mauvaise impression qui refusait de s'estomper. Elle espérait que le Père Ethan puisse l'aider à comprendre ce qu'elle ressentait et ce qui lui arrivait.

Oblivius

Ici la demoiselle venait à confesse. Ethan continua de lui sourire. Bien des gens devraient prendre l'exemple de cette femme de foi, et ne pas laisser s'écouler plus d'un mois avant d'alléger son âme et expier ses fautes.

"Oh, je vois. Le confessionnal s'impose donc."

Un léger malaise envahie le prêtre. Normalement, il n'était pas censé voir le visage de la personne venant se confesser. De plus, le premier échange qu'il aurait avec Soeur Béatrice serait l'entendre avouer ses péchés. Mais puisque c'était ce qu'elle souhaitait...En outre, mieux valait entendre ses fautes plutôt que cette jeune personne les garde pour elle.
Il lui désigna l'isoloir de bois sculpté qui se nichait dans un coin plus sombre de l'église. Mais avant qu'il ait pu faire un pas en cette direction, la religieuse lui confia à quelle point elle était heureuse d'être là..."dans cette ville maudite".
Ethan se figea en entendant ce dernier murmure.

"Et je crois que vous avez raison. Le Malin habite chacune des pierres de cette ville, j'en suis convaincu. Vous savez, cela fait quinze ans que je suis ici, et j'ai pu observer beaucoup de choses. Et parmi toutes ces choses, j'ai du mal à m'en rappeler d'une qui soit bonne.
Toutefois, ma fille, soyez assurée que Dieu est toujours bien présent dans cette église, et par conséquent, vous trouverez toujours un accueil chaleureux ici."

Il lui accorda un sourire qu'il voulait rassurant, et lui fit signe de le suivre jusqu'au confessionnal.
Comme il comprenait ce qu'elle avait voulu dire. "Depuis mon arrivée, beaucoup de choses ont changée en moi". Il avait vu cela arriver tellement de fois. Et maintenant qu'il y songeait, lui aussi avait changé en arrivant à Forbach. La désillusion, le constat de l'impuissance, et... la miséricorde qui s'était incarnée dans la digitale. Un long frisson lui parcouru l'échine.
L'ecclésiastique s'efforça de chasser ces idées sombres de son esprit, alors qu'il ouvrait la porte de l'isoloir qui s'ouvrit sans bruit. Il s'assit sur le banc de bois dur et entreprit de retirer le cache de la grille.
Il faisait particulièrement sombre dans le confessionnal, mais le profil de soeur Béatrice, strié par le grillage, semblait luire comme un pâle fantôme.
Ethan détourna les yeux, et préféra d'ailleurs les fermer.

"Je vous écoute, ma fille."

Soldat de l'Inquisition

Avant qu'ils ne se dirigent vers le confessionnal, le Père Ethan lui avoua qu'en quinze années ici, il avait vu bon nombre de choses, et pas des meilleures. Pourtant, il restait convaincu que le Seigneur protégeait sinon la ville, au moins l'église dans laquelle ils se trouvaient. Rassurée et confiante, elle lui sourit en retour et ils se dirigèrent vers l'isoloir. Le prêtre prit place, et la jeune femme l'imita, s'installant de l'autre côté de la grille. Le cache fut rapidement levé, et la jeune femme se signa avant de commencer.

"Bénissez-moi mon Père, car j'ai péché."

Elle ne savait pas vraiment comment commencer sa confession. Les mains posées sur ses genoux, elle triturait les pans de sa robe.

"Je ne sais plus où j'en suis, ni même qui je suis réellement..."

Un silence s'écoula tandis qu'elle cherchait ses mots. Comment expliquer ce qu'elle ressentait, ce qui faisait travailler son esprit au delà de ses limites ? Elle prit une profonde inspiration et se lança.

"Ma vie est dévouée au Seigneur, pourtant, j'ai ressenti quelque chose pour un homme..." Plus bas, elle ajouta : "Pour deux en fait. Et l'un d'eux est comme moi un inquisiteur... Mon père, est-ce mal de ressentir de l'amour pour un homme lorsque l'on est liée à Dieu ?"

Elle était si jeune, si candide quant aux choses de l'amour ! Pourtant, ses retrouvailles avec David avaient ravivé quelque chose en elle, mais elle était incapable de dire ce que c'était. Et lors de sa rencontre avec Luc, il s'était produit comme une alchimie entre eux... Elle avait pu le sentir lorsqu'elle était tombée contre lui, leurs coeurs battant comme un seul.
Mais ce n'était pas tout. Elle se devait de poursuivre sa confession.

"J'ai aussi péché par colère... Ma mère m'a menti durant toute mon enfance, je ne l'ai compris que récemment. Et je lui en veux terriblement..."

Elle cessa de triturer le tissu de sa robe pour se tourner vers la grille, cherchant des yeux la silhouette rassurante du Père Ethan.

"Je sais que la colère est un péché capital, mon Père... Pourtant, je ne peux m'empêcher d'éprouver ce sentiment envers elle..."

Laissant enfin libre cours à ses sentiments, elle se mit à pleurer, doucement certes, mais le prêtre ne pouvait qu'entendre ses sanglots à travers le panneau de bois et la grille ouverte.

Oblivius

(nota : c'est pas, "pardonnez-moi", plutôt que "bénissez-moi" ?)

Il était étrange de constater comment toutes les voix résonnaient différemment dans cette petite boîte de bois.
Mais Ethan avait déjà remarqué que lors des confessions publiques à Cluny, où tous les moines étaient réunis dans une seule et même pièce et que chacun avouait ses péchés, les voix sonnaient différemment.
Peut-être que c'est la honte ou la repentance qui les modifie ainsi.
Le prêtre attendit patiemment que soeur Béatrice se décide à prendre la parole. Ethan entendait sa respiration, le froissement de ses mains sur le tissus de sa robe. Elle était agitée.
Et lorsqu'elle commença à parler, Ethan comprit pourquoi. Le doute s'était insinué dans son esprit, et le serpent avait fait son apparition.
Ethan, en tant que confesseur, aurait dû être neutre. Il aurait dû prendre de la hauteur, être un peu moralisateur. Mais ce que la jeune religieuse ressentait, il le connaissait parfaitement, et cela hantait toujours, de tout son être. Les mots de la carmélite l'avaient atteint, viscéralement.
Il respira profondément. C'était pour cela qu'on les enfermait dans des monastères, lorsqu'ils étaient jeunes. Pour éviter que ce genre de chose se produise. Que le doute s'installe et ne reparte plus. Et pour éviter de souffrir, aussi.

Puis elle lui fit part de sa colère. Ou plutôt, de la Colère. L'avait-il ressentie, cette puissante émotion ? Non, pas contre quelqu'un d'autre, pas à ce point. Mais envers lui-même, il devait s'en approcher.
Et soudain, la jeune fille s'effondra, et se mit à pleurer. Tout contre la paroi de bois, il pouvait entendre ses sanglots. Oh, certainement, il aurait aimé pouvoir la consoler, mais cela aurait été tout à fait déplacé.

Un instant passa, durant lesquels les larmes de la jeune religieuse lui semblèrent insupportables.
Enfin, il prit la parole, et il distingua le visage de soeur Béatrice, qui se relevait, et tentait de calmer ses sanglots.

"Ma fille...Ecoutez-moi, et cessez de pleurer. Est-ce mal de ressentir de l'amour ? Non, bien sûr. Le fait même de le ressentir est très humain. Simplement, vous vous trouvez dans la plus vieille situation du monde : la Tentation.
Regardez-vous, vous êtes jeune, et votre coeur est volatile. Vous êtes tentée par ce qu'il y a hors de votre couvent. Vous êtes tentée de savoir ce qu'est une vie hors des ordres.
Est-ce un véritable amour, qui habite votre coeur, ou la simple curiosité ? Le séduisant attrait de ce qui est défendu, de ce qui est inaccessible, comme la pomme. Ce qu'il vous faut savoir, ma fille, c'est que même en appartenant au Seigneur, on peut aimer, c'est arrivé. Nous sommes humains après tout. Mais, de là à y succomber, il y a un pas. Un pas qui doit être très mesuré. Un pas qui peut vous entraîner dans le péché.
Alors ma fille, sondez votre coeur, et rappellez vous, quoiqu'il arrive, que le Seigneur est lent à la colère, et plein d'amour."

Ethan ne savait pas si ses paroles suffiraient à raisonner la jeune religieuse. Elle était si jeune, et pouvait être si prompte à se détourner de sa voie.

"Et j'aimerai que vous reveniez m'en parler, une fois que vous aurez réfléchi. Le doute est normal, il est inhérent à la foi. Mais il ne doit pas prendre le dessus."

En vérité, ce que traversait la jeune fille présentement était ce qui le préoccupait le plus. Le péché de colère, il était simple de le conseiller. Il ne risquait pas de la détourner de sa vocation. Alors qu'un jeune homme, si.
Il continua néanmoins.

"Pour ce qui est de votre mère, je peux comprendre la rancœur. On vous a menti. Et c'est votre orgueil qui a été bafoué. Et cela est douloureux. Néanmoins, rappelez l'ecclésiaste.

Rancune et colère, voilà encore des choses abominables qui sont le fait du pécheur.
Pardonne à ton prochain ses torts, alors, à ta prière, tes péchés te seront remis.
Si un homme nourrit de la colère contre un autre, comment peut-il demander à Dieu la guérison ?
Pour un homme, son semblable, il est sans compassion, et il prierait pour ses propres fautes !
Lui qui n'est que chair garde rancune, qui lui pardonnera ses péchés ?
Souviens-toi de la fin et cesse de haïr, de la corruption et de la mort, et sois fidèle aux commandements.
Souviens-toi des commandements et ne garde pas rancune au prochain de l'alliance du Très-Haut, et passe par-dessus l'offence."

Ethan fit une pause, alors que les mots semblaient encore flotter dans l'isoloir. Il n'entendait plus pleurer la carmélite.

"Cela paraît bien plus facile à dire qu'à faire. Et ce n'est pas qu'une apparence. Mais c'est en cela que l'on devient meilleur, ma fille, et que l'on se rapproche du Seigneur. Grandir, pardonner, et avancer. Vous comprenez, ma fille ?"

Soldat de l'Inquisition

[HRP : Aucune idée, la dernière fois que j'ai vu un film avec une confession c'était "Bénissez-moi", mais "Pardonnez-moi" me semble plus logique, en effet]

Les paroles du prêtre étaient pleines de bon sens et de réconfort. Oui, elle avait le droit d'aimer, c'était dans l'ordre des choses, mais se détourner de Dieu n'était pas une solution. Elle devrait apprendre à aimer non pas un homme, mais la race humaine dans son ensemble. Avec un pincement au coeur, elle se dit que Mère Justine lui aurait certainement prodigué les mêmes conseils avisés.
Il avait raison, elle devait être prudente et ne pas tomber dans le péché. Pourtant, Cassandra de Saint-Loup avait quitté les Ordres, elle, pour se marier. En quoi la situation était-elle différente ? Béatrice ne comprenait pas. Pourtant, elle n'en parla pas au Père Ethan, préférant y réfléchir seule. Quitte à lui en parler plus tard.

"Vous avez raison, mon Père." répondit-elle en séchant ses larmes. "Je dois résister à la Tentation, et le Seigneur dans sa miséricorde m'y aidera, je le sais."

Puis il lui rappela un passage de l'Ecclésiaste, qui parlait de la Colère et du Pardon. Les pleurs de la jeune femme avaient enfin cessé.

"Je comprends, oui." avait-elle murmuré.

Elle savait que ce serait difficile de pardonner à sa mère, pourtant, elle se devait de le faire, et de prier pour le salut de sa génitrice. Enfin, elle aborda le sujet de Louisa Zimmerman, sans toutefois la nommer. Elle savait qu'elle devait lui pardonner, à elle aussi. Quand la colère faisait perdre la tête au point de devenir une folie meurtrière, on ne pouvait plus que prier...

"Mon Père, lorsqu'une personne perd son sang-froid et qu'elle tente de vous tuer, est-il encore possible de sauver son âme ?"

Voilà une grande question. L'un des Commandements reçus par Moïse était "Tu ne tueras point". Or, si l'on tentait de tuer, sans y parvenir, l'âme était-elle déjà perdue, condamnée à l'Enfer éternel, ou bien restait-il un espoir de repentir ? Voilà la question qu'elle se posait maintenant. Car pardonner à Louisa était bien plus simple pour elle que de pardonner à sa mère...

Oblivius

Les sanglots de la demoiselle avaient enfin cessé. Ethan se sentit plus calme. Comme il détestait entendre les gens pleurer... Oh bien sûr, personne n'aime cela, à part quelques esprits malades qui hantaient Forbach, certainement. Mais le prêtre détestait vraiment les sanglots, cela le mettait très mal à l'aise. Parce que c'était le signe d'une âme qui souffre, oui, mais aussi parce que, parfois, ces larmes ne sont pas vraies, et servent à manipuler les gens les plus simples.
Aussi se sentit-il bien plus à l'aise, du côté de sa cloison, lorsque Soeur Béatrice avait séché ses larmes.

"Oui, bien sûr qu'il vous y aidera. N'oubliez pas qu'il est à vos côtés, à chaque instant, et qu'il vous aimera quoiqu'il arrive."

Ethan ne put s'empêcher de citer un de ses passages favoris des Saintes Ecritures, une de ces paroles qui l'accompagnait chaque jours lorsqu'il était de plus en plus dur de se lever, lorsque la honte, l'angoisse et le remord le submergeait, alors que ses doigts effleuraient le verre glacé de la fiole de digitale.

"Et voici, je suis avec vous pour toujours, et jusqu'à la fin des temps."

Il s'agissait des paroles du Christ qui clôturaient l'Evangile selon Saint Matthieu. Cette phrase touchait profondément Ethan; il y trouvait douceur, amour et réconfort, la promesse de n'être jamais seul, tout ce qu'un être humain peut souhaiter, enfin.
Le prêtre appuya sa tête contre la cloison de bois, lui-même apaisé.
Mais alors que la simple satisfaction d'avoir accompli son devoir en calmant et conseillant Soeur Béatrice, la question qu'elle lui posa résonna comme un coup de tonnerre dans le confessionnal, et l'ecclésiastique se redressa.
Il tourna même la tête, pour tenter, à travers la grille, de croiser le regard de la jeune religieuse.

"...Pardon ? Ma fille, quelqu'un a tenté de vous tuer ?"

Sa respiration s'accéléra. Que s'était-il passé ? Pourquoi la jeune soeur n'avait-elle rien dit ? Pourquoi n'en avait-il pas entendu parler ? Pourquoi avait-elle attendu une confession ? N'y avait-il aucun témoin ? Ce village était-il devenu assez fou pour qu'une tentative de meurtre soit devenu une pécadille ?
Le ton de la confession avait changé, et Ethan n'était plus certain d'être dans son rôle. Il devrait trahir le secret de la confession si ce que soeur Béatrice s'avérait être vrai, et en rapporter aux autorités compétentes. Etait-ce l'agent du diable ? Ethan n'était pas certain, un tel évènement aurait été rapporté. Alors qui, qui avait oser attenter à la vie d'une jeune religieuse ?

"Ma fille, répondez. Je dois savoir. Pourquoi n'en ai-je pas entendu parler ?"

Soldat de l'Inquisition

La dernière question de Béatrice avait été un murmure, pourtant elle avait résonné dans le silence de l'église comme un coup de tonnerre en pleine nuit. La jeune femme n'avait pas pensé un seul instant que le prêtre allait réagir de cette façon-là. Il releva brusquement la tête et chercha son regard à travers la grille qui les séparait. Il voulait savoir si quelqu'un avait voulu attenter à sa vie, et pourquoi il n'avait pas été informé de la chose. Elle regretta aussitôt d'avoir posé cette question. Pourtant, elle ne pouvait plus reculer, il fallait qu'elle lui explique tout. Alors, dans le cocon protecteur que lui offrait le confessionnal, elle commença à raconter ce qui s'était passé, ce jour-là dans la salle d'inquirogatoire...

"Cela date du jour où l'on m'a chargée d'interroger la patronne du Fil Blanc, suite à une accusation lancée à son encontre par la Maestriani. J'ai appris à mes dépends la haine que portait Louisa Zimmerman envers l'Inquisition..."

Elle baissa son regard vers le sol.

"Elle a certes tenté de m'étrangler mais, mon Père, j'ai eu moi-même des mots très durs envers elle..."

Peut-être Béatrice avait-elle mérité cet accès de violence ? Elle le pensait, en tout cas.

"J'ai tenté de la ramener à la raison, mais en vain. Alors j'ai fait ce que je n'aurais jamais dû faire : j'ai insulté son honneur de mère..."

Elle avait été véritablement en colère lors de cette altercation "musclée" avec la mère Zimmerman, et le regrettait amèrement aujourd'hui, Ethan pouvait tout à fait s'en rendre compte au ton employé par la religieuse...

"Et je m'en veux terriblement. Voilà pourquoi j'ai demandé à David de garder le secret sur cette histoire..."

Bon, la vérité était qu'elle avait préféré ne rien ébruiter, ne souhaitant absolument pas regagner les murs sombres du couvent Carmélite. Mais cela, le Père Ethan n'avait pas besoin de le savoir...

Oblivius

Le sang battait aux tempes d'Ethan. Il n'était pas habitué à perdre patience, ou son tempérament. Mais là, le profond mécontentement qui l'occupait allait bientôt céder sa place à une colère certaine.
La haine de Louisa Zimmerman envers l'Inquisition, soit, il pouvait le concevoir. Après toutes ces années, la présence renforcée des ecclésiastiques n'avait jamais été accepté par certains.
Mais, à quoi songeait soeur Béatrice ? Son attitude le laissait dubitatif. Elle était sans doute encore très jeune, trop jeune pour comprendre et prendre de la hauteur, même si dans une telle situation, où l'on est le protagoniste, il est difficile à voir avec une certaine distance.

"Ma fille, vous ne comprenez pas. Votre volonté de justifier son acte peut être louable, si vous souhaitez la pardonner. Vous reconnaissez vos torts. Et c'est par là que vous auriez dû commencer votre confession sans doute. Vous avez mal agi, en l'insultant. Il y a d'autres manières d'interroger quelqu'un, d'atteindre ses buts. Et vous auriez dû rechercher la rédemption pour cela."

Ethan fit une pause, pour être certain que Béatrice assimilait la réprimande. Et aussi, avant d'aborder le sujet le plus épineux.

"Notre seigneur Jésus Christ nous a enseigné à tendre l'autre joue. Il nous a fait sortir de la loi du Talion. Mais il ne faut pas comprendre au-delà de ce qui est dit, extrapoler. Il n'est simplement pas question de répondre à la violence par la violence.
En revanche, la violence est condamnable. Louisa Zimmerman a tenté de vous étrangler. Qu'est-ce qui l'a arrêté ? Serait-elle allée jusqu'au bout ? "

La voix d'Ethan était devenu glacée. Il respira profondément, et tenta de remettre un peu de chaleur dans sa voix.

"L'acte seul de Louisa Zimmerman est condamnable. Aux yeux de Dieu, et elle n'est jamais venue en faire pénitence, n'a jamais montré le moindre signe de regret. Aux yeux des hommes, c'est une tentative de meurtre. Rien, m'entendez-vous, rien ne justifie qu'un autre être humain se prenne pour le Seigneur, et tente de tuer un autre être humain."

Le prêtre était plus que conscient de la gravité de ses paroles. Il faudrait qu'il demande pardon au Tout-puissant pour prodiguer de tels sermons que lui n'avait pas respecté. Mais il doutait mériter encore le pardon du Seigneur, pour ce qu'il avait fait. Et qui devenait de plus en plus pesant, au fil des jours.

"Ma fille, vous agissez bien en voulant lui pardonner. Souvenez-vous de l'évangile selon matthieu...

"A qui te demande, donne ; à qui veut t'emprunter, ne tourne pas le dos. Vous avez entendu qu'il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi. Eh bien ! moi je vous dis : Aimez vos ennemis, et priez pour vos persécuteurs, afin de devenir fils de votre Père qui est aux cieux, car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes."

Pardonnez à cette femme, et aimez là. Toutefois, justice sera faite. Envers Dieu, c'est son affaire, peut être la mienne également. Mais envers les hommes, son acte ne sera pas sans conséquence. Aussi, je vous demande de m'accompagner, une fois hors de l'église, chez monsieur Garin."

Depuis quand cette ville était elle devenue assez folle pour qu'une jeune fille se laisse à moitié tuer et n'en dise rien ?
Ethan posa son front dans sa main, soudain las. Il se reprit néanmoins, et continua d'une voix plus douce :

"Avez-vous autre chose sur la conscience mon enfant ?"

Soldat de l'Inquisition

Elle écouta les réprimandes en gardant le nez vers le sol, consciente de son erreur. Oui, elle aurait certainement dû commencer par là. Cependant, si elle ne l'avait pas fait, c'était peut-être pour "tester" le religieux, essayer de savoir s'il était un homme clément ou non avant de lui parler du pire... Non, elle savait que ce n'était pas la raison... En réalité, elle n'avait juste pas prévu d'en parler. Pour elle, ce qui s'était produit ce jour-là devait être réglé hors du contexte de l'Eglise. Elle aurait préféré s'arranger seule avec la Zimmerman. Mais maintenant, elle avait abordé le sujet avec le Père Ethan, et il était impossible pour elle de revenir en arrière...
Après qu'il eut terminé de la sermonner, il laissa un bref silence pendant lequel elle murmura :

"Oui mon Père, j'ai saisi."

Puis il lui rappela que si Jésus Christ avait appris aux hommes à tendre l'autre joue, c'était simplement pour éviter la montée de la violence. Il ne fallait en aucun cas le prendre au pied de la lettre, au contraire. Car que ce soit aux yeux de Dieu ou à ceux des hommes, Louisa Zimmerman était en faute.
Elle savait qu'il avait raison, et c'était pour cette raison-là qu'elle avait tout d'abord souhaité l'envoyer au cachot, ou pire au bûcher pour hérésie et tentative de meurtre sur un membre de l'Inquisition - certains étaient brûlés pour moins que ça - mais au final, David l'en avait dissuadée. Il ne voulait pas qu'elle s'engage dans une guerre contre la famille Zimmerman, et qu'elle risque d'être renvoyée au couvent.

Ethan voulut savoir ce qui avait arrêté l'accès de violence de la commerçante, et si Béatrice pensait que Louisa aurait été jusqu'au bout de son acte. Revivre mentalement cette scène était insupportable pour la jeune nonne, pourtant elle était assez forte pour ne pas craquer, là où d'autres à sa place auraient déjà fondu en larmes.

"Son époux est intervenu. Il a dû apprendre que sa femme avait été convoquée, parce qu'il a déjoué la sécurité de la Collégiale et qu'il est entré comme une furie dans la pièce. Mon esprit est un peu embrouillé à cause de la cohue à cet instant, mais je me souviens qu'il a arraché les mains de sa femme qui m'agrippaient le cou. Je..."

Elle fit une courte pause, comprenant enfin toute l'angoissante vérité.

"Je pense que oui, s'il était pas intervenu, elle serait allée jusqu'au bout."

Une larme roula sur sa joue, et elle l'essuya bien vite alors que le prêtre lui citait un extrait de l'évangile selon Mathieu. Oui, elle avait décidé de lui pardonner, malgré son geste inconsidéré.
Elle redressa vivement la tête en direction de la grille de séparation lorsqu'il lui annonça qu'elle devrait ensuite le suivre chez le père de David. Elle écarquilla les yeux et demanda d'une voix suppliante :

"On, je vous en prie mon Père, n'en parlez à personne ! Si Monsieur Garin apprenait ça, il me ferait très certainement renvoyer au couvent, que ce soit pour ma protection ou pour me punir de la manière dont l'interrogatoire s'est déroulé... Je ne veux pas rentrer chez mes soeurs, je suis si bien ici !"

Le ton de sa voix était vraiment suppliant, plein de douleur à l'idée de devoir rentrer au couvent. Il était évident que si le Second de l'Inquisition apprenait la nouvelle, il condamnerait certes Louisa, mais il n'omettrait pas de réprimander, voire de punir la jeune religieuse, qui était tout de même en partie responsable de ce qui lui était arrivé...
Ethan lui demanda enfin si elle avait autre chose à confesser, et elle répondit faiblement que non, c'était tout. Elle était véritablement abattue...