Le 02 mai 1629

A monsieur Peter Silvianov,
« Demeure principal des Silvianov » , Lac Beloïe à Belozerk, raïon de Belozerski, Russie

Je suis encore une fois la messagère de Thanatos ne me fustigez pas !
Papa est mort hier. Je ne sais si votre fille s’en remettra un jour. Il est mort pour avoir été à la fête des grands ! Mélanie et les petites étaient avec lui. Il y a eu un terrible incendie, sur le grand champ des muguets. Toute la ville y était invitée. Un cercle de feu les a emprisonnés. Ils ont tous suffoqué. Tous. J’aurais dû être avec eux grand-père ! J’aurais dû être étouffée par la fumée assassine. Mais je suis là pour alourdir votre cœur une nouvelle fois. Pardonne-moi.
S’ils n’avaient été collés les uns aux autres, pour se protéger je ne sais si j’aurais pus reconnaître leurs corps. Michael vient tout juste de nous quitter. Nous commencions à peine à regarder l’avenir. C’est injuste ! Depuis LEUR arrivée la mort c’est abattue sur ce pays. Ils sont maudis et ils nous maudissent avec eux. Je les déteste.
Maman ne parle plus. Elle est comme… une statue de chaire mourante. J’ai peur pour elle. Je ne sais que faire. Je ne suis que sa fille. Je ne peux remplacer un mari, un fils, une belle-fille… Papy, peut être devrait-elle rentrer auprès de vous ? Je crois que votre amour pourra peut être la sauver. Elle serait beaucoup mieux ici avec vos Romanov. Je peux tout organiser si vous le souhaitez.
Je ne partirais pas. Le Fil Blanc a besoin de moi. Et j’ai besoin de lui. Je ne suis jamais allée sur vos terres. Ma vie, est ici, aussi déchirée soit-elle. J’attends l’heure de les voir partir ! J’irais voir Touchedieu être pendu. Vous pouvez me trouver morbide. A cette heure je ne vois plus le soleil. Notre famille n’a jamais rien fait d’autre que d’embellir les silhouettes ! C’est injuste Papy, c’est si injuste.
Je n’ai pas encore réussi à pleurer. Je crois toujours que papa va pousser la porte de la boutique et me donner quelques mirabelles pour patienter jusqu’au diner. Maudites légendes ensorcelées. Sans ces prétendues sorcières rien ne serait arrivé. Si j’en croise une jamais elle n’oubliera le nom des Maulne je vous le promets. Voyez. Je deviens mauvaise. Aussi mauvaise qu’eux. J’ai peur papy. Peur de ce que mes pensées impliquent. Car je sais qu’en allant à Schwarzwald, je peux trouver les plantes suffisantes. Qui se méfierait de mes robes ? Dites moi que ce n’est pas la bonne route. Papy arrêtez moi.

Votre petite fille qui vous aime Irina

Irina (Louisa) Maulne

Le 10 octobre 1628

A monsieur Romain Zimmerman Baron de Rosbruck
Au « Manoir des Rosbruck » Moselle, France

Bonsoir monsieur Zimmerman,

En fait monsieur, je me demande, comment commencer cette lettre, comment vous aborder. Ma démarche est singulière ! Qui a vu, une illustre inconnue, écrire à un jeune noble qu’elle connait à peine ? Mais c’est ainsi que tout se crée, parfois, alors j’ose. Ne vous en offusquez point, s’il vous plait. Vous devez-vous douter que c’est là une habitude très personnelle !
J’étais chez Caroline Montbourg, l’autre soir, juste à votre droite. C’était moi, votre voisine, la fille de couturière. J’espère ne pas avoir été oubliée de vous. Car, c’est grâce à vous, que j’ai passé une délicieuse soirée. Bien plus qu’à l’ordinaire, lorsqu’on me permet de quitter Forbach. Et c’est un exploit ! Les pères, oublient parfois, que jeunesse doit se faire en dehors des tables mondaines de l’ancienne génération.
Ne gâchons pas cette bonne fortune ! Accepteriez-vous de m’écrire, un peu ? Rassurez-vous je ne serai pas trop exigeante. (Tant que vous ne me le demanderez pas.) Je désire simplement vous connaître mieux, vous connaître vraiment. C’est une démarche honnête quant pensez-vous ? C’est votre âme qui m’intéresse. Celle que j’ai vue pétiller au détour de quelques mots. Voyez, je tourne au lyrisme. C’est de votre faute.
Je vis à Forbach. Je ne vous l’ai pas dis, car la réputation de ma ville natale aurait put me desservir. Alors que je voulais mettre toutes les chances de mon côté. Vous m’avez donné envie de plaire. D’être une jeune femme que l’on retient. C’est un fait qui me donne la permission d’être cavalière, n’est-ce pas ? Je ne suis sans doute pas assez pudique, pour une première lettre. Ceci dit… devenons quelqu’un l’un pour l’autre. Je suis certaine que cela est possible. Le temps nous dira si mon impression était la bonne.
Il est si rare de croiser quelqu’un de … chaleureux. Notre monde manque de chaleur monsieur Zimmerman !
J’ai un passé un peu trop sombre à mon goût. Il m’oblige à l’espérance, et c’est probablement à cause de cela, que je suis si effrontée. Ma mère m’a peut être trop parlé de bonheur étant enfant. On n’a trop crut le tout Puissant. Pour ma part je crois que le bonheur est une question de choix. Ce que beaucoup ont du mal à faire. Pour le moment je ne suis qu’une apprentie gestionnaire. Mais je compte bien ouvrir ma boutique de vêtement ! Si vous venez à Forbach je vous ferai un costume. Vous serez un parfait cobaye.
Dans quelques semaines je vais à Morbach pour voir de la famille. Mon grand père y a un moulin. Ce n’est que là bas que le pain est parfait. Le roi de France devrait venir y faire un tour. Enfin je ne connais pas votre ville. Est-elle jolie ? Racontez-moi un peu son histoire. Je suis curieuse. Mon monde est bien trop petit pour mon âge. Alors que ma mère vient de si loin… de Russie. J’espère que cela ne vous effraie pas ? L’idée de l’étranger ? Je suis aussi française que le royaume peut en faire. J’aime tout de ce pays. A l’exception peut être des armées. Quel concept barbare. Dites-moi, que vous n’êtes pas officié ? Par pitié.
La cloche vient de sonner. Je dois me dépêcher. Je voudrais que cette lettre parte avant midi. Au revoir !

A très bientôt. Je l’espère. Portez-vous bien.

Une amie

Louisa Maulne

Le 11 mai 1629

A monsieur Romain Zimmerman Baron de Rosbruck
« Manoir des Rosbruck » Moselle, France

Ne crois-tu pas, que trois jours de silence, c’est honorable ? Je ne riais pas de toi, idiot. Tu es plus susceptible qu’un enfant. Un enfant que j’aime tant. Pourquoi rire au nez de l’un des rares être qui ce soit soucié de nous ? Songes-y mon ange.
C’est cette situation. C’est comme ci une tenaille se resserrait inexorablement sur mes cotes, jusqu’à l’étouffement. Imagine, que l’on te dise un jour, que tu dois quitter ta maison, parce qu’elle devient dangereuse, ne verrais-tu jaune ? Ne serais-tu pas en colère toi aussi ? Ma famille travail depuis plus de vingt ans à Forbach. Je ne peux pas faire la couarde aujourd’hui ! Je n’ai pas le droit. Je ne veux pas. Et pourtant j’ai peur.

Cette boutique c’est tout ce que j’ai. Sans elle, je ne serais, qu’une paire de mains sans âmes. Et alors même à toi je ne plairais plus. C’est ma bouée Romain. Ils sont tous partis. Papa est mort. Entends-tu ? Il est mort et je ne sais pas comment gérer cette vie là. Ce grand vide qu’il a laissé en partant. Certains soirs je ne pense qu’à les retrouver. Vois-tu à quoi j’en suis réduite ? C’est cela le vrai danger.
Tous vont profiter de notre faiblesse, de ma faiblesse. Maman n’est déjà presque plus dans ce monde. Je ne sais pas si je pourrais leur tenir tête toute seule. Tu sais quelle valeur on accorde à une femme seule dans ce pays. Ils me détruiront plus facilement qu’un de leur fantôme.

Je ne m’en sortirais pas si tu m’abandonne maintenant. Ne me laisse pas. J’ai besoin de toi.
Ce soir là tu m’as sauvé la vie. Est-ce pour me laisser me faire écraser par ces mécréants ensuite ? Tu as pris une responsabilité. Oui, je parle pour Dieu ! Mais qu’a-t-il-fait lui quand ses brebis se faisaient dévorer ? Je le renie tout entier ce diable déguisé. Et si je suis pécheresse alors tant pis. Cette haine me tient debout.
Tu me manque. Ne te braque pas contre moi. Tu es la voix de ma raison. Je sais que je pourrais leur faire du mal. J’en ai l’envie Romain. S’il ne me reste que cela, je finirai sur le bûcher, comme ces pauvres femmes ! Viendras-tu pleurer sur mes cendres ?

Maman part dans moins d’un mois. M’accepterais-tu quelques jours chez toi ensuite ? Oui, tu vois je change. Je deviens vulnérable et je fais ma pénitence. N’est-ce pas assez rare, de ma plume, pour te convaincre, de sa véracité ?

Je t’aime. Pardonne-moi d’être aussi désespérée.

Ta Lou

Louisa Maulne

Le 14 mai 1629

A monsieur Romain Zimmerman Baron de Rosbruck
« Manoir des Rosbruck » Moselle, France

Mon amour,

Nous nous sommes emportés tous les deux. Je crois bien que c’est ce qu’on appelle la passion. Non ? Le Chris, n’a donc rien comprit, aux sentiments humains ! Il n’a pas comprit grand-chose… J’aime t’aimer, c’est ce qui me donne de la force.

Comment as-tu fais pour supporter la mort de ton père ? Dis-le-moi ? Donnes moi le secret. Je m’en veux tellement de m’être emportée contre toi. Si tu savais. Je sais que je suis colérique. Je croyais que quand Michael est mort, il a réveillé le plus mauvais de moi. Je t’assure que j’ai été… ingrate, envers maman à l’époque. Je leur en voulais tellement de nous avoir laissés dans cette ville maudite. Mais aujourd’hui s’est pire encore. Parce que je ne veux plus quitter cette ville. Parce que je sais qu’en restant je me torture. Pourquoi-a-t-il fallut que les sorcières existent ? Notre monde peut être déjà si magique sans ça !

Ta tante était là ce matin. Je crois qu’elle est presque aussi triste que moi. Cela m’a touché. Je voudrais être une femme aussi généreuse. Elle ne connaissait pas beaucoup Mélanie, ni les jumelles. Pourtant elle parlait d’elles avec tant de douceur… C’est si injuste, elles étaient si petites. J’aurais préféré être à leur place. Après tout à part à toi à qui d’autre serais-je indispensable ?

Oui. Je serais sage. Il y a encore maman. Reviens-moi vite. Ses pleurs me déchirent le cœur. Et je crois qu’il n’y a que ta joie qui pourra la faire un peu sourire maintenant. Je déteste la voir malheureuse. J’ai l’impression que le passé nous rattrape.
Mais je suis égoïste. Je ne parle que de moi. J’espère que les soucis ne sont pas trop graves là-bas. Ne les néglige pas pour moi surtout. Je m’en voudrais encore plus.
Il sera bientôt pendu. Le fou. Touchedieu. J’irai.

Je t’attends. Fais attention à toi surtout.

Louisa

Louisa Maulne

Le 15 février 1632

A Dama Roza Silvianov,
« Demeure principal des Silvianov » , Lac Beloïe à Belozerk, raïon de Belozerski, Russie

Grand-mère,
Je vais me marier ! Romain m’a fait sa demande. J’ai dis oui ! C’est encore toute fébrile de cette nouvelle que je vous écris. S’il vous plait, venez en France, venez célébrer ce bonheur avec nous. Nous le ferons bientôt : le jour du printemps.
Cela vous donne le temps d’arriver à Forbach. Je serais tellement heureuse que maman et vous soyez présentes. Grand-père aussi, bien entendu, mais je devine déjà sa réponse. La maison n’attend que vous, ou mieux le manoir de Rosbruck, selon vos désirs mes dames !
Romain n’a plus ni père, ni mère et depuis que maman est avec vous, je suis un peu orpheline avec lui. Grand-mère, il est si curieux de vous connaître. De plus vous n’avez encore jamais vu votre arrière-petite fille ! Mes portraits sont factices à peine vous les ais-je envoyés ! Ce petit voyage vous enchantera surement.
Je pense qu’il est important de se retrouver. Donnez-moi vite des nouvelles !

En vous embrassant, tous.
Affectueusement
Votre petite fille bientôt femme Irina

Le 22 avril 1634

A monsieur Tobias Von Rotterbach,
Au château des Von Rotterbach, Vienne, Autriche

Tobias mon ami !

L’accouchement s’est bien passé et notre petit Dimitri est magnifique ! Oui c’est un garçon ! Nous sommes comblés ! Si vous le voyiez ! Je ne me lasse pas de le regarder vivre. Je crois pouvoir dire que j’ai de la chance. Un époux merveilleux, une adorable fille et un fils splendide. Il ne me manque rien. Si ce n’est un peu de la Russie, parfois.
Comment allez-vous ? Comment vont votre épouse et votre fille ? J’ai appris par Amélia que vous alliez déménager. Pourquoi quitter Vienne ? Une si belle ville. J’espère que vous n’en perdrez pas votre goût pour le théâtre ? J’en lis souvent de ces tragédies grecques. Elles ont quelque chose de … fascinant. Il n’y pas accès à cela ici. C’est un manque !
Anna va bien. Elle grandie. Un joli bébé de quatre ans. Elle est formidable. Elle remplie notre vie de bonheur et de surprise chaque jour.
Je vous envois un petit cadeau pour Naomi.
Prenez bien soin de vous. Nous vous embrassons.

Amicalement !

Louisa Z.

Le 04 janvier 1637

A Charlotte Maulne
A La maison du Moulin Rouge, Morbach, Moselle, France

Charlotte,

Il est encore temps ! Voici mes vœux pour vous et les votre en cette nouvelle année ! Comment allez-vous ? Comment vont vos hommes ? Je suis curieuse ! Le froid n’est pas trop dur. Je pense souvent à vous et au moulin.
D’ailleurs n’hésitez pas à rappeler notre adresse aux garçons. C’est avec plaisir que je les accueillerais si les événements les conduisaient par ici. Le grand veut-il toujours devenir officier ? Un métier terrifiant. J’aimerai les connaître mieux. Le temps passe si vite.
S’il vous plait, dites à Nany, que Lou lui transmet son affection. Je regrette d’user de vous comme un intermédiaire. Cependant je sais à quel point grand-mère doit être préservée. Notre dernière rencontre est restée gravée dans ma mémoire. Je ne pensais pas possible qu’on me prenne un jour pour ma mère. Car à la vérité nous sommes bien différentes toutes les deux.
Pensez-vous que je puisse lui apporter quoique ce soit ? J’aimerai tant être plus présente pour elle. Je n’ai plus beaucoup de famille en Moselle. Il est bien difficile d’être privée de ses racines.
Mes deux enfants vont bien. D’ailleurs j’aimerai leur montrer Morbach un jour. Quand ils seront un peu plus grands. Ils ne savent rien de la jeunesse de nos anciens. Je ne sais pas comment leur en parler. Je ne me souviens presque plus de grand-père. Cela m’attriste. Pourriez-vous me raconter un peu ? Je voudrais qu’ils sachent d’où ils viennent. C’est important ! Surtout quand on vient d’un peu partout.
Saluer tous nos cousins et cousine pour moi ! Je vous envois mes meilleurs pensées ! En espérant que la vie continue de vous être favorable.

Louisa

Le 01 février 1641

A Dama Nastasia Maulne,
« Demeure principal des Silvianov » , Lac Beloïe à Belozerk, raïon de Belozerski, Russie

Мама

J’aimerai que tu vois Rosbruck au matin. C’est si tranquille. C’est un peu comme si rien ne pouvait la toucher. Le soleil est d’un blanc éclatant. Il me fait presque mal aux yeux. Il me fait penser à toi.
Je sais pourquoi je n’avais le droit qu’ai blanc pour mes robes. J’ai compris. Tu cherchais la Russie dans tout ce qui t’entourait. Est-ce que tu la trouvait en nous ? Je veux dire en Michael et moi ? Je sais que je n’ai pas été très douce avec toi. Je voulais tant être comme toutes les autres filles. Quand on a dix ans on ne veut pas être spéciale. Pardonne moi mama. J’aurais dû comprendre à quel point c’était important. Maintenant je sais.
Aujourd’hui je regarde Anna. Je n’arrête pas de te retrouver en elle. Cet air si sérieux comme, si elle devait être la plus forte du monde. La forme de son sourire quand elle est contrariée. Elle est bien plus Silvianov que je ne le serais jamais. J’essaye de lui donner un peu de notre culture. Je veux qu’ils vous connaissent tous les deux.
Mais je commence à oublier. Ca me fait peur. Je voulais leur parler d’elle. Il y a des mots qui m’échappe. J’ai des souvenirs qui deviennent flous. Tu es si loin. Grand-mère me disait toujours que la distance n’existe pas en pensée. Mais dans le cœur elle s’installe. J’ai accepté la distance que tu as imposé. J’ai fais taire mon besoin de toi. Tu me manque ! Le temps passe et nous ne sommes pas éternelles.
Je voudrais être près de toi maintenant. Je voudrais t’aider et lui aussi. Maman je suis la dernière représentante de cette famille que TU as créé. Pourquoi refuses-tu que je vienne ? Je sais que c’est dure. Je sais que la mort de papa… Si je perdais Romain je serais morte de chagrin. Je comprends. Mais laisses moi être là pour toi. Laisses moi être ta fille !
Я люблю вас
Prends soin de toi. Milles baisers éclos de ce matin.

Ton Ina’