Une nuit pas si paisible... #16

Oblivius

Son père était enfin parti. Cela faisait une semaine qu'il avait pris le bateau pour les colonies. Ce soir là, Alexander dormait chez elle. Elle avait dû insister pour qu'il accepte l'invitation, le jeune homme craignant que son père ne l'ait laissée sous surveillance. Après l'avoir assuré qu'il ne craignait pas d'être découvert chez les Gaumont, ils avaient enfin pu dîner dans la cuisine du commerçant, puis les deux jeunes gens avaient passé la soirée au salon avant d'enfin aller se mettre au lit.
Laetitia s'était endormie dans les bras de son petit-ami, et dormait d'un sommeil paisible lorsqu'elle s'éveilla en sursaut, le corps en sueur. Un regard vers Alex lui indiqua qu'il avait lui aussi fait un rêve troublant. Sa voix résonnant étrangement dans la pièce sombre, elle décida de lui raconter son cauchemar...

"J'étais au cimetière, sur la tombe de ma mère... Il faisait nuit. J'étais en train de parler à ma mère. Enfin, à son esprit. (Elle sourit.) Je lui parlais de toi. (Son sourire disparut.) Soudain, une intense lumière est apparue devant moi, si puissante que j'avais du mal à lever les yeux vers elle. Sur le coup, j'ai cru que c'était ma mère qui apparaissait à mes yeux. La silhouette dans la lumière lui ressemblait tellement ! Mais sa voix... Lorsqu'il s'adressa à moi - c'était une voix masculine dans le corps de ma mère - je compris que je me trompais..."

Elle s'interrompit, le temps de se remettre en mémoire les paroles de l'apparition, puis reprit :

"Ce qu'il me dit... Ça parlait d'ange déchu, de cruauté, d'âmes perdues, de miracle... Trois miracles. Trois clans qui doivent chacun accomplir un miracle. Sinon on mourra. Enfin, ceux qui sont marqués. Comme toi... Et moi..."

Elle baissa les yeux et se blottit dans les bras du jeune homme, comme pour se rassurer. Elle ne comprenait pas cette histoire de clan. Elle ne savait même pas pourquoi elle avait rêvé de ça. Mais une chose était sûre, elle était convaincue que c'était plus qu'un simple cauchemar. Bien plus... Et elle avait peur... Elle avait peur car maintenant, elle comprenait ce qu'était cette étrange marque sur son front...

Paysan(ne)

Beaucoup de choses avaient changés entre Laetitia et Alexander. Pourtant, il fallait l’admettre, tout autant de choses tracassaient le « jeune noble », depuis son arrivée à Forbach. L’amour que le liait à la jeune bourgeoise était véritable, il le savait, à son grand dam d’ailleurs. Cette fois où ils s’étaient unis au pied du moulin… Cela avait été sa « première fois » et il l’avait conservée jalousement pour lui, la revivant parfois encore en rêve. Mais s’il l’aimait au plus profond de son être, elle, Laetitia, aimait quelqu’un qui n’existait pas, un fantôme inventé par Mathieu pour survivre dans ce monde impitoyable qui ne vénère que richesses et biens matériels. Pour se faire une place, pour vivre tout simplement, il avait du jouer ce jeu médiocre des réalités matérielles inutiles et ce jeu venait de l’emporter bien plus loin qu’il ne l’aurait jamais voulu. En fin de compte, il finissait dépassé par les évènements et cela n’avait rien de bon, non vraiment rien. Pour ainsi dire, il en faisait des cauchemars de manière assez récurrente mais il ne pouvait s’en défaire pour le moment, car la seule solution aurait été de parler à la jeune femme, ce qu’il ne pouvait se résigner à faire car si elle devait le quitter – ce qui serait sans doute l’unique possibilité réaliste – il ne savait pas s’il s’en remettrait un jour. La morale était sans équivoque, un menteur ne pouvait jamais, au bout du compte, s’en sortir gagnant… Au fur et à mesure, il continuait à s’enfoncer dans le mensonge jusqu’à finir complètement noyé…

Mais il n’y avait pas que Laetitia – bien qu’elle occupait son esprit pendant la majorité du temps, éveillé comme endormi -, il y avait également cette marque qui était apparu sur son front. Il n’avait pas fallu beaucoup de temps avant que les deux amoureux ne remarquent qu’ils étaient atteints du même « mal ». Pourtant, impossible de dire d’où cela pouvait venir. Le jeune homme s’était simplement rendu compte que la vie au quotidien devenait de plus en plus insupportable. Ses yeux le faisaient souffrir au contact pourtant bienfaisant de la lumière, les bruits ambiants pourtant si quotidiens au Château devenaient de plus en plus assourdissants. D’abord Mathieu avait pensé que les gens devenaient sourds et s’efforçaient de parler plus fort mais non… Laetitia elle aussi semblait frappée des mêmes maux… Sans compter que chaque douleur était renvoyée au centuple. Que se passait-il donc ? Chercher une explication commune menait forcément à cette nuit au moulin mais c’était leur première fois à tous les deux et cela ne ressemblait en rien aux maladies que l’on évoquait sur la « chose ». Mathieu avait alors apprit à vivre – difficilement – avec remettant l’explication pour plus tard en espérant que cela ne s’aggraverait pas trop.

Quant à cette nuit-là… Il est vrai qu’Alexander n’avait pas été facile à convaincre lorsque Laetitia, après un nouveau rendez-vous en amoureux, lui avait demandé de venir dormir chez elle. Son père était parti, certes, mais peut-être avait-il laissé des indications pour que sa fille soit un minimum surveillée… Il ne connaissait pas la relation qui liait désormais son enfant avec le « Vicomte » Alexander mais cela ne signifiait pas qu’il ne se doutait de rien, quoique, avec le nombre de « sorties » faites par sa fille, il devait être quasiment aveugle pour ne rien voir. Il céda toutefois devant l’insistance de la jeune femme, préférant éviter un scandale presque devant chez elle. La soirée n’avait rien de spectaculaire, une soirée entre deux jeunes gens amoureux dirons-nous. Elle l’avait ensuite fait monter dans sa chambre où ils s’étaient endormis profondément, Mathieu prenant dans ses bras la jeune femme. Pourtant, comme s’ils avaient eu quelque chose à se reprocher, ils se réveillèrent tous les deux en sueur, car quelque chose avait profondément bouleversé leurs rêves. Reprenant son souffle, son regard océan plongé dans celui de la jeune femme qui brillait à la pâle lueur de la lune qui brillait par la fenêtre, il écouta le rêve de celle-ci, y retrouvant des similitudes qui le troublèrent. Avaient-ils rêvé de la même chose ? Il accueillit Laetitia dans ses bras et la serra fort contre lui…

« - Tout va bien, Laetitia. Tout va bien. Je suis là. »

Pourtant lui aussi avait rêvé de cela. Bien entendu, il n’avait pas vu la mère de la jeune femme, mais il rêvait simplement de son passé à la ferme, de tout ce qu’il s’était passé, de la mort de sa mère, des autres… Tant de souffrances et voilà qu’on lui imposait encore une épreuve. Une épreuve dans laquelle il se sentait impuissant car il ne comprenait rien de cette histoire de Clans… De qui parlait-il cet « homme » qui était intervenu dans son rêve pour le plonger dans une abîme sans lumière dans laquelle résonnait simplement sa voix et l’évidence même : il mourrait si quelqu’un ne l’empêcherait pas et, intimement, il était convaincu que son propre destin n’était plus entre ses mains.