Le Frère François, avec sa barbe et ses doigts d’airain, ses gestes brutaux. David, avec son visage glabre et sa personnalité double. Le fils et le père à côté l’un de l’autre, dans un éclairage qui montre tous leurs points communs. Le fils qui s’il n’est pas guidé, tombera dans la même fosse que le père, perpétuera la malédiction pour une génération de plus. Ils sont là tous les deux, les deux hommes qui ont marqué la vie de Sarah Geisler au final. Plus de traces de David Noistier, elle en a même oublié son visage, incapable de s’en souvenir. Ah moins que ce ne soit lui cette troisième personne qui se matérialise, qui efface les deux autres d’un coup… d’ailes ?

…
Sarah Geisler se releva sur son lit, couverte de sueur, les bandages sur sa poitrine défaits, libre de respirer mais ahanant comme un porteur d’eau malgré tout. Elle s’aggripa le genou pour réprimer les tremblements qui la prenaient. Elle se mit en position assise au bord du lit, soupira, puis se leva comme si elle n’allait plus jamais dormir, se dirigeant vers une bassine, où elle versa de l’eau et se frotta le visage, particulièrement son front à vif, où le stigmate était plus présent que jamais. Elle poussa un gémissement au contact de l’eau froide, mais se força à le supporter encore et encore. Une fois qu’elle eut fini, sans s’essuyer, elle alla à la fenêtre, l’ouvrit et passa encore quelques instants le regard flou et troublé à essayer de trouver en la lune un sens ou une réponse à ses questions.

Elle regarde tout autour de la chambre encore, puis dehors. Et elle râle de ne pas pouvoir être calme. Elle finit par s’énerver pour de bon, enlève vite fait sa chemise et enlève vite fait les bandages qui compriment sa poitrine, à toute vitesse et n’importe comment. Au fur et à mesure qu’ils disparaissent, elle respire plus librement, plus profondément. Elle rassemble en un tas et se précipite vers le poêle, dans lequel elle jette sauvagement le tissu, faisant flamber un bref instant les braises. Et elle va chercher dans son armoire, en petite tenue, un attirail qu’elle ne met quasiment jamais, une relique de mauvais goût qui pourtant la suit fidèlement depuis des années, qu’elle n’a mis que quelques fois.

Sa cuirasse cloutée. Le cuir est fatigué, laid, et les petits clous de bronze ont perdu leur patine depuis longtemps, mais l’armure garde malgré tout son aspect terriblement guerrier et efficace, de l’air de celles qui se sont déjà pris d’authentiques coups. Sarah s’équipe pour l’action, s’équipe pour la guerre. En plus de la cuirasse, elle met un pantalon de toile épaisse, et des bottes lourdes. Des gants de cuirs complètent l’attirail, et elle va chercher une matraque dans son bureau.

Laissée à l’abandon, la chambre ne se désemplit pas de cette atmosphère de tromperie et de tension permanente. Elle a fini par infiltrer les murs, les meubles. Toujours s’exhale des tissus cette odeur de peur d’être démasqué, et cette souffrance de l’exil pourtant volontaire. Les effluves de la maternité relativement heureuse ont disparus. Dans ce silence et ce désordre triste, retentit alors un appel qui vient de la cour :

« RASSEMBLEMENT ! »