Au milieu de ce champ de fleurs dorées, Noâz connaissait cette créature. Ce n’était pas le propriétaire de cette plantation de foeniculums, ce n’était pas un homme non plus, ni une femme. Noâz savait qu’il rêvait. Mais il ne voulait pas quitter ce rêve. Car il reconnaissait la créature. Il voulait lui parler. Mais comment pouvait-il connaître cette créature ? Il la connaissait à n’en pas douter. Il s’agissait donc de ce genre de rêve où notre vie a été recomposée avec de nouvelles formes et de nouveaux souvenirs. Ce genre de rêve qui – alors que l’illusion est dénoncée par l’absurdité d’un champ de fenouil – nous sied plus que la réalité. Malheureusement, c’est souvent alors que l’illusion fabuleuse est acceptée comme telle et que l’on s’y conforte qu’elle s’étiole. C’est là la terrible punition à qui croque le fruit de l’arbre de la connaissance du vrai et du faux.
Le vent arrachait les pétales d’or qui heurtaient le visage de Noâz avec une cinglante langueur. Il avançait droit devant lui. Ayant pour seul objectif la créature. Les plantes s’arrachaient du sol et s’envolaient en tourbillonnant vers les cieux, abysse inversé, appel de la réalité. Elle était là, impavide, impassible. Mais de quoi aurait-elle bien pu avoir peur ? Le jeune homme était nu, il était en manteau de fourrure, en robe de flamenco, en pagne indigène, en tenue d’apparat, l’illusion se trahissait davantage à chaque seconde. Tout s’embrouillait, les fleurs d’or étaient devenues plus sombres que les nuages d’un bleu océan. Il allait l’atteindre. Sa grande cape ne volait pas. Noâz la héla. Elle ne frémit pas. Il fallait qu’elle se retourne, qu’elle le regarde, qu’elle lui parle ! Il tendit le bras, désespéré que le rêve s’arrête sitôt, il toucha son épaule
Brutalement elle fit volte face. Sa cape tournoya puis s’envola en une fraction de seconde, laissant se déployer deux immenses ailes noires dont les plumes laissaient s’échapper des vapeurs sombres aspirées par les cieux. Son visage était de marbre, ses yeux vides, son expression cruelle et sage. Noâz donnait à la Mort le visage de sa mère. Un visage qu’il n’avait jamais vu, donc sans iris. Un visage dont on lui avait longuement parlé, donc sculptural. Le visage d’une mère sacrée et puissante, donc dur et grand. Mais Noâz ne confondait pas. Il s’agissait d’un avatar symbolique, ce qu’il avait face à lui n’était pas sa mère mais bien la Mort, qui le fixait du fond du néant. L’Ange sombre était un grand habitué de la famille Loewenstein qui pouvait le considérer comme un proche. Pas le genre qu’on aimerait inviter tous les quatre matins, mais de ceux qu’on ne peut haïr car on n’a d’autre choix que de les supporter.
« La cruauté… »
Dans un déluge ascensionnel, au milieu des blocs de terre déchaînés, des nuages convulsant, l’Ange expliqua à Noâz le sens de son sceau, la mission qu’il avait à accomplir et combien la souffrance ne faisait que commencer. Le jeune homme, devant tant de beauté et de désespoir ne put retenir une larme qui remonta de son œil à son front puis regagna les sommets. L’Ange caressa son visage d’enfant trop âgé. Noâz fit révérence et s’envola doucement au-dessus de la Mort. Il savait que le rêve se terminerait lorsqu’il traverserait les nuages, dans quelques secondes. Un laps de temps qui lui suffit à se dire que l’heure était venue de se battre. L’heure était venue de prouver sa valeur d’homme guerrier et de Meneur sorcier. L’heure était venue de se rendre digne d’un nom déjà illustre. Mais l’heure n’était-elle pas venue trop vite ?
Lun 5 Sep 2011 - 20:06