Autour d'elle, tout était figé. Le vent n'agitait pas les branches des arbres alentours, pas plus qu'il n'ébouriffait la lisse coiffure blonde de son vis-à-vis. Elle-même était paralysée, arrêtée dans une posture de recueillement particulièrement gracieuse. Si tant était qu'une femme de son âge puisse paraître gracieuse. Elle était à genoux, aussi, mais alors que ses rotules auraient dû la faire souffrir, elle ne ressentait rien. Rien, hormis cette angoisse caractéristique des moments précédant les catastrophes. Rien ne bougeait, comme si toute activité était interdite. Seul son esprit continuait de fonctionner normalement. Et il fallait toute la force de Cassandra pour s'empêcher de sombrer dans la panique. Où était Narcissa, pour commencer ? Elle avait beau tenter de tourner la tête pour voir autour d'elle, tout ce qu'elle pouvait faire était de regarder dans une seule direction, cette fichue direction qui ne regardait que l'homme blond.

À bien y regarder, en fait, l'homme n'avait rien d'humain. Une grâce sans pareille, une insupportable élégance et une assurance qui n'était pas démentie par l'immobilité. Quand elle forçait son regard – où était sa lorgnette, déjà ? – elle pouvait voir ses pieds flotter dans l'air. Puis, l'instant d'après, ils étaient à nouveau sur la terre ferme. La lumière finit par se faire dans l'esprit de la Veuve. Un Ange ? Où étaient ses ailes ? Concentrant son regard sur l'homme, elle finit par voir, légèrement en décalage avec ses épaules, quelques plumes blanches. Cette fichue perspective était intenable. Elle n'était même pas en état de vérifier la nature de son compagnon d'ineptie. Comment s'était-elle retrouvée dans cette folie ? Quelle sorcière avait bien pu la traquer, évitant les sortilèges de protection dont Viviane avait entouré l'hôtel de Saint-Loup ? Impossible.

Quand une deuxième évidence la frappa, force lui fut de constater que ses capacités de déduction s'étaient rouillées. Seigneur, elle était dans un tableau ! Et pas n'importe lequel : celui de l'Annonciation. Le blasphème lui parut d'une telle ampleur qu'elle ferma aussitôt les yeux. Avant de réaliser que c'était impossible, puisque pas même son petit doigt ne répondait. Quelle mauvaise plaisanterie que ce sortilège dans lequel on l'avait plongée ! Car il ne pouvait s'agir que de cela : de sorcellerie. Comment se sortir d'ici ? À la force de ses prières ? Cassandra n'hésita pas un instant, et se lança dans un hymne mental, bientôt interrompu avec bienveillance par celui qu'elle devait bien appeler « l'Ange ».

Son discours lui glaça le sang. Narcissa le portait, ce fichu sceau. Et courir à l'autre bout du monde ne changerait rien, à présent. Rodez n'était même plus une retraite ; Forbach était devenu leur lieu de résidence définitif – jusqu'à ce que mort s'ensuive, aurait dit Théophile. Elle regarda un instant l'Ange, regrettant de ne pouvoir donner tout le mépris nécessaire à ses yeux. Il pouvait dire ce qu'il voulait, ce n'était pas un Ange. Aucune chaleur ne l'entourait. Aucune bonté. Aucune miséricorde. C'était un être maléfique, comme tous ceux qui avaient attaqué Forbach. Ange déchu il était, ange déchu il resterait, Cassandra en était convaincue. Même si les trois clans lui apportaient un miracle.

L'ange sourit, comme s'il percevait chacune de ses pensées, et soudainement, tout se fissura. La Veuve sentit ses membres tomber en poussière lentement, graduellement, comme il convenait à un lent effritement du monde. C'était à la fois un bris et une dégradation. Douteux mélange, mais ô combien douloureux... Le rêve de Cassandra vola en éclat avec une telle violence qu'elle se réveilla en sueur, à peine couverte d'une chemise de nuit, tremblante.

Ce n'était qu'un rêve. Ça ne pouvait être qu'un mauvais rêve.