Voilà une semaine que Luc avait filé en douce. Quittant le Manoir à jamais, il avait laissé derrière lui un vide que rien de semblait combler. Elena se terrait toujours plus dans sa chambre ou faisait des virées nocturnes. Vincent se retrouvait trop souvent seul à la tablée de la salle à manger. La solitude lui pesait et c'était à présent qu'il sentait qu'une épouse lui manquait. Il n'avait jamais posé de question à Elena à propos du départ précipité de Luc et de leur dispute. Il lisait dans sa sœur que ce sujet était trop douloureux. Mais alors pourquoi le faire partir?

Après tout c'était une grande fille, elle savait sûrement ce qu'elle avait fait. Alors que l’aîné des Mirova attendait une lettre pour annoncer son arrivée, il décida d'écrire quelques mots à cet ami qu'il regrettait trop.

Citation :

Très cher Luc,

Comment c'est déroulé ton voyage. Je t'écris alors même que je n'ai point reçu la missive qui nous rassurerait tous. Les gens du Manoir et moi-même sommes en attente de tes nouvelles. Ici la vie tente de reprendre son cours. C'est étrange sans toi. Je dîne pratiquement tous les soirs seuls. Nos discussions me manquent beaucoup et par dessus ton absence est bien plus insupportable que je ne le croirais jamais.

Mais assez parler de moi raconte moi les nouvelles de ton pays et de ta famille. Sont-ils tous bien portant? Tu dois être ravi de pouvoir enfin revoir tes côtes et ta verdure. Le temps aussi doit te changer. Il faudra que j'entreprenne un voyage par chez toi, tu m'en as tellement parlé, je voudrais voir tout ceci en vrai. Nous pourrons discourir comme autrefois.

J'ignore ce qui c'est passé entre toi et ma sœur et je ne l'ai pas évoqué lors de ton départ. Mais quoiqu'il fut dit, elle en souffre. Je l'ai suivit quand elle à découvert que tu avais quitté les lieux. Elle c'est effondré. Pourtant quand je tente d'aborder le sujet elle reste murée. Je ne sais pas ce qu'elle a fait mais ne lui en veux pas trop. Elle le regrette chaque jour. Elle ressemble à un fantôme. Je m'inquiète pour vous deux.

Pardonne moi de te faire souffrir plus qu'il n'est raisonnable de penser. Donne moi rapidement des nouvelles.

A très vite mon ami, mon frère.

Vincent Mirova

La plume gorgée d'encre noire cessa d'inscrire quoique ce soit sur le papier. Vincent inspira profondément et sentit la boule qui c'était logée dans la gorge. Oui, Luc lui manquait comme un membre cher de sa famille. Il donna à un messager l'ordre de faire parvenir cette missive au plus vite.

Un messager, portant le blason des « De Rohan » se présent plusieurs jours plus tard… Il présente alors une missive au nom de Vincent Mirova.

Citation :

Vincent, mon ami, mon frère,

Pardonne l’absence de lettre annonçant mon arrivée sur ma terre natale. Je dois admettre que ma famille était ravie de me voir revenir, bien qu’un peu surprise que je ne me sois pas fait annoncé avant. Mes parents m’ont monopolisés pendant plusieurs jours et je ne compte pas le nombre de déjeuners et de diners auxquels j’ai du assister. Pour ainsi dire, et comme je m’y attendais un peu, je n’ai presque plus de temps pour moi et moi seul, à part peut-être lorsque l’on me laisse dormir paisiblement quelques heures avant de me réveiller au petit matin.

Je suis navré d’apprendre que mon absence te porte autant préjudice. Je dois t’avouer que nos discussions me manquent également et qu’il me ferait grand plaisir de t’accueillir à ma table et dans ma demeure si tu souhaitais un jour faire le voyage jusqu’en terre de Bretagne. Ma porte te sera toujours ouverte, sois en assuré mon ami. Quant à moi, et bien, il serait mentir que de t’écrire que je ne suis pas heureux. Les falaises, la verdure, la fureur du vent et de l’océan… Voilà tant de choses qui me manquaient et qui, maintenant que je les retrouve, font de moi un homme de nouveau complet et entier. Si tu veux venir les découvrir par toi-même, je ne peux que t’encourager à monter en selle et à venir me rejoindre au plus vite. Les beaux jours s’annoncent et il n’existe pas de plus merveilleux plaisir que celui de galoper sur les vertes plaines de mes terres. Préviens moi toutefois, que je puisse t’accueillir comme il se doit et que je puisse convaincre mes parents de me laisser tranquille pendant quelques temps, afin que nous puissions en profiter ensemble.

Concernant Elena… Je ne sais pas quoi t’écrire mon frère. Je suis malheureux de voir qu’elle souffre encore de mon départ, car, crois-moi, ce n’était pas pour lui imposer le martyr que j’ai décidé de revenir sur mes terres. Je ne pense pas que ce soit à moi de t’en parler, car elle est surement la mieux placée pour cela, et surtout parce que je préfèrerais ne pas discourir de ce sujet sur un simple morceau de papier. Tu trouveras, avec cette lettre, une autre, destinée à Elena. Elle est cachetée, non pas que je veuille te cacher quoique ce soit, mais j’estime qu’elle est la seule et unique première dépositaire des mots qui y sont couchés, comme j’estime que ceux que tu lis sont les tiens. Je lui laisse la liberté de t’en parler ou non. Essaye juste de ne pas lui tirer les vers du nez. Veille sur Elena, puisque je ne le peux plus. Elle aura besoin de toi, quoiqu’il arrive. Je suis bien trop loin pour lui promettre d’être toujours là pour elle. Ainsi vont les choses, ainsi va la vie.

A très bientôt Vincent,

Luc, ton frère.

Dans la première missive, s’y trouve une plus petite, scellée par un autre sceau en cire aux armoiries de Bretagne. Elle porte le nom d’Elena Mirova.

Citation :

Elena,

Je ne saurais absolument rien des évènements qui secouent Forbach au moment où tu recevras cette lettre. L’eau file parfois au rythme d’un torrent, mais parfois aussi lentement qu’un ru. Qu’il s’agisse d’apparences ou d’obscurités, aucune nouvelle ne me parvient de cette ville, aussi j’espère que tout se passe pour le mieux sur le chemin que tu arpentes, à la fois dans la lumière et dans l’obscurité.

La dernière lettre de Vincent m’a rappelé avec beaucoup d’amertume notre dernière discussion et les évènements qui ont conduit à mon départ. Inutile pour moi de retourner le couteau dans la plaie, elle est surement bien trop fraiche pour nous deux. Il n’est pas un jour sans que je pense à toi, sans que je pense à tous nos bons moments. Le reste a depuis longtemps quitté ma mémoire. Dis-toi qu’il aurait fallu que je reparte un jour, mon devoir l’exigeait et que, têtue comme tu étais, tu n’aurais jamais voulu quitter ton Manoir ni ta terre. Tes racines sont probablement à Forbach, autant que les miennes sont en Bretagne. J’aime à penser que, dans d’autres circonstances, nous aurions pu arpenter des chemins différents, davantage enlacés. Mais cela ne reste que des pensées.

Il faut que tu ailles de l’avant et que tu cesses de ressasser le passé. Enfoui au fond de toi nos souvenirs heureux et ne pense plus au reste. Ne laisse pas le temps nous priver de ce que nous avions de plus précieux tous les deux pour ne nous laisser que la lie. Donne lui l’ivraie et garde le meilleur grain, il ne mérite pas mieux. Mais, surtout, arrête de souffrir les peines du monde entier. Tu ne le mérites pas. Essaie d’aller de l’avant et de vivre le reste de ta vie dans le bonheur. C’est plus facile à dire qu’à faire, j’en suis conscient, mais essaye au moins de le faire, pour moi, pour tout ce que nous avons été tous les deux. Savoir que tu es heureuse ne sera qu’une consolation mais elle me suffira. Sois heureuse Elena, la vie est trop courte pour la passer à se lamenter, à souffrir pour quelque chose qui, finalement, était peut-être inévitable.

Vincent m’a soufflé à l’oreille qu’il aimerait bien passer quelques jours en Bretagne. Je trouve l’idée excellente. Qu’en penses-tu toi ? Accepterais-tu de l’accompagner ? Les paysages sont magnifiques et sauvages, à ton image. Je suis sur que tu apprécierais la fougue de l’océan lorsqu’il se met en fureur. En tout cas, les paysages et le temps de la Bretagne me rappellent à toi aussi surement que le printemps succède à l’hiver. Tu devrais faire comme le vent de mes côtes, souffler et souffler, encore et encore, avancer, toujours avancer, sans accepter une seule seconde d’être arrêté par un obstacle. Tu es forte Elena, ne l’oublie jamais.

Je t’aime et je t’aimerais toujours,

Luc.