Révélations

Aguerri(e)

Il faisait doux ce matin là et le marché égayait la vie des forbachois. Les comdamnés du sceau se tairaient chez eux sans pouvoir profiter de la fête du printemps, les fleurs poussaient dans les bacs des marchands, les étoles se faisaient plus douce et plus légère et surtout les couleurs ravivaient les yeux et l'espoir. Elena marchait le long des pavés, suivit de sa jument avec lenteur. Comme si chaque pas qu'elle faisait la menait vers un fossé, une gorge flamboyante de tortures. Depuis qu'elle avait évité d'être présente à une réunion qu'avait organisé la couturière, la jeune femme avait longtemps retourné la question dans son esprit. Louisa connaissait sans conteste l'existence de certains sorciers, donc le prêtre même du Lys et Elena. Mais elle semblait ignorer leur véritable nature et surtout sa vision des sorciers lui donnait un regard noir qui faisait frissonner la jeune femme. Lui mentir n'était pas agréable et c'est pourquoi elle avait refusé de se présenter à elle à cette fameuse réunion ou tout individu de n'importe quelle nature que ce soit était invité.

Elle avait donné une excuse qui ne tenait pas la route. Elena avait mentit sans conviction. Cette raison boiteuse était le fruit de son subconscient qui voulait montrer à Louisa que cette raison était non seulement fausse mais cachait quelque chose. Le jeune noble s'en était rendu compte et avait quelques peu espacés ces dernières visites. Elle était moins épanouie que les autres fois et même les enfants l'avait sûrement ressenti.

La sorcière était tiraillée entre le fait d'avouer sa véritable nature et soulager sa conscience et se taire pour ne pas éventer le secret. Mais sa conscience était plus forte et demandait réparation. Alors la jeune femme avait songé toute la nuit à la façon la moins brutale d'amener la vérité. Les cernes trahissaient ces réflexions et entaillait la fraicheur de son jeune âge. Attachant son cheval à un des pieux proches de la boutique de la Baronne, Elena acheva son chemin vers les enfers et ouvrit la porte. La petite clochette tinta, comme on sonnait le glas. Le visage de Lou apparut à la fois rassurant et inquiétant.

"Bonjour Louisa."

Un maigre sourire naquit sur les lèvres de la jeune femme. Elena fit un pas de plus avant de s’apercevoir que la couturière était en plein ouvrage. Elle salua poliment la commanditaire. La jeune noble admira le travail de son amie.

"Eh bien, elle est magnifique."

"J'y compte bien, c'est pour une grande occasion!" persifla la jeune femme qui se tenait dans la robe de bal.

Alors que Louisa appliquait des épingles pour retoucher le tissu, Elena lança un regard froid à la jeune femme. Cette façon de répondre sans politesse.

"Et ne la déconcentré pas, sinon ce sera un vrai gâchis."

Elena bouillait. Elle se tut pourtant, laissant couler le venin et serra les poings dans ses gants. Elle recula pour admirer les étoffes de soies et de fourrure en attendant que cette pimbêche sorte une fois les mesures prisent.

Baron(ne)

*Le 03 juin 1646*

Les semaines allant madame Zimmerman n’arrivait plus à profiter de son petit paradis en toute quiétude. La menace qui pesait sur les épaules de sa fille aînée était de plus en plus oppressent. Cette attente angoissée finissait par dévorer le foyer. A force de tourner en rond une douce folie avait prit son esprit. Sans même y prendre garde la baronne était retournée à cet état de tension perpétuel qu’avait provoqué le serviteur de Satan un an et demi plus tôt. Consciente que ce n’était bon ni pour Romain ni pour les enfants Louisa était retournée à la boutique. Travailler était le seul moyen d’accaparer son esprit sur autre chose.
Elle avait eu beau réquisitionner ses amis de longue date, les amis de ces amis, la moindre personne susceptible de connaître quelque chose sur la magie noire et les prophéties, ils n’avaient rien trouvé. Rien qui puisse libérer son Anna du piège qui se refermait sur elle. Louisa aurait été prête à vendre son âme au Diable pour préserver son enfant. Aux instants de total désespoirs elle imaginait aller extirper des lèvres de Viviane une incantation pour appeler les démons. Mais ce n’était pas possible.
Alors elle cousait, elle cousait nuit et jour.

Lorsqu’on lui demandait un bustier émeraude, elle le faisait en soie blanche, lorsqu’on lui commandait des jupons au fils d’or elle y mettait des fils d’argent. Le blanc. La couleur du bien, de la pureté, de la paix, tel un étendard contre l’Ange maléfique. Si quelqu’un faisait un commentaire il était congédié. Quand une personne se permettait de critiquer il recevait un regard d’un noir, aussi noir, qu’une pierre de lave brûlée. Ses traits étaient un masque indéchiffrable. Ne rien montrer était une façon –stupide c’est vrai- d’amoindrir le mal.

Même enfermée dans sa peur Lou percevait ce qui se passait en ville. Elle sentait les prémisses de l’été. La chaleur faisait progressivement tomber bas et gants pour jupes et chapeaux. Mais les fleurs n’étaient pas aussi belles que d’ordinaire. La voix de mademoiselle Mirova n’était pas aussi enjouée que les autres fois. Elena s’était éloignée de Rosbruck sans donner de réelle explication. Elle espaçait ses visites alors même que Dimitri s’était entiché d’elle. Personne n’avait comprit. Après une, deux, tentatives la famille s’était accommodée.
Aussi la couturière ne ressentait pas d’urgence à répondre à la jeune femme. Elle achevait ses mesures en laissant les deux nobles à leur échange.

« C’est fait madame de Beaumont. Revenez dans une dizaine pour un premier essayage. » Louisa contournait les deux femmes pour aller à l’entrer de la pièce. Ses yeux fouillaient la grande salle et sa voix portait vers le comptoir.
« Edith, s’il te plait montre à madame les modèle de rubans et note son choix. »

La trentenaire descendait saisissait son ombrelle, que lui tendait, Louisa, avant de s’éloigner d’un pas sec.
Le silence emplissait la petite pièce. On pouvait entendre l’activité qui régnait de l’autre côté du mur. La dame s’activait pour ranger son mètre et ses instruments, avec des gestes délicats teintés d’une vigueur mécanique. Elle jetait un regard en biais à la jeune femme. Les épaules étaient rentrées et le teint fatigué. En voilà une autre qui n’avait pas l’esprit en paix. Ce fut ce qui déliait sa langue.

« Bonjour Elena. Que puis-je faire pour toi ? Aurais-tu besoin d’une robe ? D’un livre peut-être ? »

Lou tendait un drap (blanc) sur le grand miroir à pied. Elle avait eu le temps de croiser le regard de la demoiselle dans celui-ci. Quelque chose n’allait pas. Cela datait de plusieurs mois. Précisément depuis son absence à la réunion. Cette absence avait chagriné la couturière. Mais plus que tout elle avait éveillé un soupçon –infime- pernicieux concernant sa protégée. Louisa s’était contentée de sa fuite pour ne pas à avoir à faire face à la réalité.
Mais avec son air angoissé, Elena, lui avouait déjà une partie de la vérité.

« Crois-tu que je dois m’assoir pour entendre ce que tu es venue me dire ? »

Les doigts se refermaient lentement sur le dos d’une chaise en bois. Les pieds raclaient le sol de pierre lorsque la baronne déplaçait l’objet pour le tourner vers la visiteuse. Quelque soit la raison Lou devait l'entendre. Ça ne pouvait pas être pire que tout ce qu'on lui avait déjà avoué.
Toujours maternelle, elle adoucissait son regard et son visage d'un sourire où se devinait une certaine affection.

Aguerri(e)

L'atmosphère était désagréable et la tension qui émanait des gestes de Louisa mina un peu plus Elena. La nouvelle qu'elle devait lui annonçait nécessitait du courage et sentir toute cette pression la rendait mal à l'aise. Elle savait bien pourquoi Louisa était préoccupée, elle sentait bien ce qui se tramait dans l'esprit de son amie et c'est à cause de cela que sa culpabilité grandissait chaque jour pour s'insinuer jusque autour de son échine pour l'asservir par les remords. Ce pernicieux venin aux couleurs de la honte s'épanchait dans son sang et plutôt que de se rassurer en sachant qu'elle n'était pas la cause du mal, elle s'accablait plus encore de ne pouvoir venir en aide à cette femme qui l'avait accueillie dans sa famille et la chérissait comme une nouvelle enfant. Mais tout ceci ne pouvait durer d'avantage, elle avait passé la nuit à trouver milles façons de dire de simples mots qu'elle serait, le temps venu, bien incapable d'agencer dans le bon ordre.

Madame de Beaumont quitta sa place et laissa la robe aux soins dans la couturière, plus que quelques secondes et elle pourrait parler. Mais pendant ces interminables secondes le cœur de la jeune femme battait toujours plus vite et toujours plus fort. La Baronne semblait peu encline à ouvrir la conversation, mais lorsque leurs regards se croisèrent, toutes deux savaient que ni l'une ni l'autre n'était en paix et qu'elles devaient se confier. Une fois que Madame de Beaumont quitta le lieu en rehaussant le sourcil avec dédain en passant à côté d'Elena, Louisa s'inquiéta de ce que voulait Elena. Une robe? Des livres? Non, elle connaissait déjà la réponse. Ce n'était rien de tout cela. Ce qu'elle voulait? La paix, elle n'en pouvait plus de s'en vouloir, de se torturer les méninges. Louisa sentait tout cela et comme si elle savait déjà. Devait-elle s'assoir? Oui et non, du moment qu'elle ne se mette pas dans une fureur noire et qu'elle lui jette la boutique au visage. Car la couturière cachait derrière ce visage maternel, une farouche protection et une violence inouïe. Sans l'avoir vu plus d'une fois à l’œuvre, la jeune noble le devinait dans ce regard, comme une évidence.

Elena acquiesça. Louisa devait s'assoir. La jeune femme fille un signe de tête en direction d'Edith.

"Sans vouloir être malpolie, pourrions-nous être seule à seule?"

Là encore le temps paressait et Elena se sentait de plus en plus nerveuse. Elle se rappelait de toutes les idées d'approches qu'elle avait eu cette nuit et elle les voyait toutes défilées à toute vitesse. Aucune ne ressemblerait à ce qu'elle c'était imaginé. Elle le savait. Une fois que les deux femmes furent enfin seule, Elena fixa le bout de ses pieds quelques secondes avant de relever le regard pour le piquer avec franchise dans celui de sa bienfaitrice.

"Louisa, je... je voudrais que tu me pardonnes pour ma conduite des derniers temps. Un ami très cher est rentré dans son pays et la peine m'a fait manqué à mes devoirs. J'en suis navrée."

Ce n'était pas prévu au programme, mais à vrai dire c'était un poids de moins. Elle s'en voulait d'avoir espacé ces visites. Les enfants lui manquaient énormément et elle l'exprima auprès de leur mère.

"Puisses-tu m'excuser de la maladresse dont j'ai fait preuve on voulait ne pas t'en informer. Je sens bien que tu es suffisamment tracassée ces derniers temps et je ne voulais pas que tu te soucies de moi. Pourtant ma façon d'agir aura sûrement fait l'effet inverse et ce n'est qu'à présent que je m'en rend compte."

Elle fit un pas vers cette figure de Forbach qui l'inspirait. Elle tira une chaise vers elle et se plaça face à la couturière. Elle se saisit de ces mains et plongea encore et toujours ses iris dans celle de son amie.

"Je sais ce qui tourmente ton cœur et j'aurais tant aimé pouvoir te dire que je savais comment guérir ta fille. Hélas, je ne le puis, ni moi, ni mes connaissances diverses. Mes facultés ne sont d'aucune aide. Pourtant nous aimerions tout faire pour libérer nos villageois de ce fléau."

Elle parla à la troisième personne. Elle ne formula pas une seule fois le mot sorcière. Sa connotation négative déplaisait à Elena dans ce genre de confidence, mais surtout, ainsi, personne ne pourrait jurer avoir entendu ce mot. Jamais la jeune femme n'en avait fait mentions. Elle ne parlait que de son savoir. Et de celui de ses sœurs. Louisa était une femme intelligente, nul besoin de lui en dire d'avantage. Du moins c'est ce qu'espérait la sorcière du Lys Noir. Elle laissa à présent Louisa choisir sa réaction, elle s'attendrait à tout et n'importe quoi. Tout ce qui suivrait serait mériter, c'est ainsi que l'Aguerrie voyait les choses.

Baron(ne)

Louisa était donc assise sur sa chaise. Elle avait les lèvres légèrement pincées comme lorsqu’elle écoutait l’un des enfants lui confesser une bêtise. Cette relation avec la jeune noble était étrange mais Lou ne l’avait jamais remise en cause. Rien n’arrivait par hasard. Si Elena avait put prendre une telle place dans son cœur c’’était qu’elle la méritait.

Devant toute cette bienveillance –maladroite il est vrai- une sorte de lassitude gagnait la quarantenaire. Ce n’était pas le rôle d’une jeune femme de prendre soin d’elle. Il y avait dans ce village presque autant de personnes qui voulaient son bien que d’autres qui voulaient son bien. Cette fois le combat semblait trop lourd à porter.
Derrière le sourire d’encouragements se lisait un appel à l’aide. Elena avait tout comprit. Il n’était pas nécessaire de redire des évidences douloureuses. Anna Zimmerman, fille chérie, jeune fille adorée, était en sursis. Les yeux noirs détaillaient intensément les traits tirés. Tout pouvait si vite arriver ici qu’il fallait mettre un certain empressement à faire certaines choses. Louisa voulait d’abord assainir la situation. Il n’y avait pas de faute. Un poids s’enfuyait de ses épaules.

« Tu es toute excusée Elena. Mais je pense que les enfants ont besoin d’entendre tout ça.
Je sais ce que c’est de vouloir protéger les gens qu’on aime et de mal si prendre malgré toute la bonne volonté. »

La couturière avait plusieurs erreurs à sont actifs. Des erreurs qui avaient plus ou moins portées à conséquence mais avec les quels elle devait vivre jusqu’à la fin de ses jours. En fin de compte ces deux femmes se ressemblaient beaucoup.

« Mais si… s’il… Si. S’il arrive quelque chose à Anna. Ta présence nous aidera beaucoup surtout pour Dimitri. Je te mets une responsabilité sur les épaules. J’en suis désolée. Les choses ont évoluées ainsi et j’ai grand besoin de personnes de confiance depuis que cet ange nous a maudis. »

La façon dont la jeune noble tournait ses propos déclenchait une sonnette d’alarme similaire à celle de l’hiver. Seul un être qui se croyait supérieur pouvait en employer un « nous » comme celui-ci. Faculté et connaissance étaient les mots du sorcier accoucheur également.
Louisa sentait les larmes lui monter aux yeux. Ses mains s’arrachaient de l’étreinte amicale pour aller couvrir sa bouche.

« Toi… aussi. Toi, mais tu es si jeune si… »

Louisa scrutait ce visage avec désarroi. Elle vivait cet aveu comme une nouvelle trahison. Par deux fois une femme de ce village lui avait caché la vérité. Par deux fois il s’agissait d’une femme à laquelle elle tenait sincèrement. Etait-elle l’objet d’un jeu cruel ? Les sorcières trouvaient-elles amusant de manipuler des pauvres mortels comme elle ? Viviane avait déclenché la révolte. Elena abattait le chagrin et l’écœurement. Enfin de compte Lou se trouvait bien stupide d’avoir fait tant d’efforts pour enterrer sa haine…

« Vous êtes toutes des menteuses ! »

Le discours de l’Ange revenait par bribes… La cruauté de l’homme… Oui ils étaient cruels. Trois clans devant s’affronter. Comment la baronne avait-elle put croire un instant que l’union était possible ? Il n’y avait que des secrets, des doubles visages ! L’Agent du Diable n’avait pas été si éloigné de la vérité.
Il fallait ressortir les mêmes arguments qu’en janvier.

« Quand tu as vue le parrain de Lucile, ma meilleure amie au baptême, et cette réunion, tu ne t’ais pas dit, que je pouvais être digne de confiance ? Un minimum ? Que je n’étais pas une ennemie. Bon sang mais ce n’est pas vrai !
J’en ai assez de tout ça ! »

Oh oui assez… La dame quittait son siège d’un bond colérique. C’était la goutte de trop dans son océan.
Lou entrevoyait toute son impuissance face aux combats ancestraux. Un sentiment grandissant d’injustice lui contractait le cœur. Tous ses efforts étaient néant. Tout c’en quoi elle tentait de croire n’était que fadaise. Il restait une once de force qui l’aidait à regarder Mirova dans les yeux pour lui dire ce qui devait être dit. Ce que personne n’avait vraiment l’occasion de dire devant une sorcière. Son ton celui de la mère qui gronde parce que c’était ainsi que devait passer le message.

« C’est à cause de ce genre de comportement qu’il n’y aura jamais la paix à Forbach.
A quoi bon ? Tout votre savoir vous sert à quoi ? A faire la guerre ? Il n’y a rien à craindre là dedans et vous n’êtes pas mieux que vos bourreaux. Vous préférez, jouer aux magiciennes des ombres, plutôt que de vous allier à nous.
C’est stupide ! Personne ne veut de sorcellerie ici, mais par-dessus tout on veut encore moins des inquisiteurs ! Je vous ai détestées pendant longtemps. J’ai mis tout ce que j’étais à l’épreuve pour essayer de vous accepter. Mais je commence à le regretter… Vous n’êtes que des lâches.
Pourquoi n’as-tu pas … non je ne veux pas savoir. Faites ce que vous voulez.
Si c’est à cause de votre manque de prise de responsabilités, que ma fille meurt, ni toi ni Viviane ne serez les bienvenues chez moi. Plus jamais. »

Ce n’était pas une menace c’était une promesse. Le genre de promesse qu’à une époque la jeune Louisa Maulne avait déjà faites. Cette fois-ci aucun joli baron ne pourrait adoucir sa sentence. Il était temps que les craintes se lèvent et que les mortels se battent.

Aguerri(e)

Tic.

Le temps venait de faire une pause. La révélation faisait l'effet d'une goutte d'eau qui tombait dans un vase déjà trop rempli. Figée dans ces paroles, Elena semblait ressentir le temps dans toute sa lenteur. Elle battait des cils avant de voir l'expression de Lou se changer. Le contact de leur étreinte se fit plus vivant et lorsque les mains de Louisa glissaient, Elena savait déjà ce qui suivait. La couturière était en train de suivre le bouleversement d'une nouvelle extravagante.

Tic.

La jeune noble pinça les lèvres, s’apprêtant à subir tout type de crise. Crise de panique et appel au secours, insultes en tout genre et surtout déception. Autant le premier était une option qu'elle écartait instinctivement, autant elle craignait la dernière. La déception était la pire de toutes les situations qu'elle s'imaginait. Parce qu'elle portait Louisa en très haute estime.

Tic.

Louisa avait parlé de confiance et de l'importance du soutient de la marraine de Lucile. Et elle venait de lui donner une information des plus capitale, elle lui livrait un secret. Le secret le plus colossale de toute sa vie. Avant que le temps ne reprendre son droit, Elena battait une dernière fois des paupières. Elle relâcha sa respiration. Elle était prête. Tendue, mais prête.

Boum!

L'explosion de sentiments qui chaviraient au sein de Louisa teintait tout son être. Elle se protégea de cette horrible nouvelle par un geste si commun : cacher ses lèvres par ses longs doigts agiles. Toi aussi? Elle ne s'attendait pas à cela comme première réaction. C'était le premier échelon. La simple surprise. Le temps d'assimiler.

« Vous êtes toutes des menteuses ! »

A présent la défense. C'était vrai, elle avait mentit, mais elle n'était pas la seule femme et la seule sorcière de son entourage. Non bien sûr il y avait le fichu clan Valdemar et De Saint Loup qui faisait partit de ces amies. Surtout Viviane.

Et maintenant venait l'attaque. La partie qu'Elena redoutait le plus. Louisa était une femme de confiance, et elle l'avait prouvé mais c'était si difficile aujourd'hui de faire réellement confiance. Non pas qu'Elena hésita une seconde à lui dire la vérité, mais parce que c'était difficile d'annoncer ce genre de chose. Oui la Baronne était une femme digne de toute la confiance possible, mais cependant il fallait prendre son courage à demain pour risquer cette relation qu'elle chérissait. Et elle l'avait pris. Maintenant Louisa devait digérer cette nouvelle. Et c'est pourquoi Elena ne dit rien pendant que la tornade prenait forme.

Louisa n'aimait pas la sorcellerie, elle disait que Forbach n'en avait pas besoin. Si seulement elle savait ce que la sorcellerie apportait et sauvait parfois de ce village. Et puis vient le mot final. Si Anna mourrait Viviane et elle ne remettrait plus les pieds chez elle. A présent elle se taisait un peu et laissa à Elena le temps de s'exprimer. Pour sa défense, qu'avait elle à dire d'ailleurs?

"Si j'avais été si lâche, jamais je ne t'en aurais parlé. Crois bien qu'il était difficile d'être dans ma position, tu sembles tellement détester les nôtres. Et pourtant tu en es entourée et nous te protégeons comme nous le pouvons. Oui nous sommes ce que nous sommes et il y là quelque chose d'inhabituel mais nous sommes des êtres humains."

C'était difficile de se justifier. Louisa avait raison, elle lui avait menti. Mais comment lui dire d'emblée :

"Bonjour je m'appelle Elena, j'aimerais instruire votre fils. Ah oui et j'oubliais de mentionner un détail, je suis une sorcière, personne notoirement rechercher par l'Inquisition!"

C'était tout bonnement impossible de se présenter de la sorte ne serait-ce que pour sa survie. Et puis, moins elle en savait moins elle risquait les interrogatoires inquisitoriaux. Elena tenta de croiser le regard de Louisa. Elle se trouvait face à ce mur onyx qui la tétanisa.

"Tu es en droit de m'en vouloir pour t'avoir caché la vérité, mais c'était une question de sauvegarde. Pour tous. Je sais ce que tu vas me dire qu'un mensonge est un mensonge et c'est bien vrai, mais m'aurais-tu appréciée si tu avais dés le départ connu ma nature? Tu ne m'aurais pas laissé une seule chance d'approcher tes enfants. Alors que je ne veux que leur bien à tous, comme à toi. J'ai aimé te connaître, être avec Dimitri et lui apprendre une quantité d'aventures historiques. Et j'ai trouvé en toi bien plus qu'une simple femme. Tu as eu la bienveillance d'une mère que j'ai perdu il y a déjà trop longtemps parce que son seul crime était qu'elle pensait faire ce qui était bon pour Forbach. Et te voir devenir amère me fend le cœur, mais si c'est le prix à payer pour avoir avoué la vérité alors que je le paye."

Elle parlait sans s'énerver, étonnement sa nature passionnée restait en retrait. Elle restait calme, inutile de s'en prendre à Louisa, sa réaction était des plus compréhensibles. Mais il y avait une chose que la jeune femme ne pourrait pas laisser passer et quoi qu'il lui en coute elle ne pouvait pas laisser cette pensée planer.

"Mais ne dit pas, je t'en conjure, que nous ne servons à rien. Ta fille n'est pas le seul être cher que je pourrais perdre si ce stigmate continue de ronger les êtres touchés. Depuis que le signe est apparu j'ai chercher jour et nuit des solutions. Ma mine affreuse est en partie causée par ces recherches. Ne crois pas que nous ne cherchons pas. Que ce soit Viviane ou moi. Car bien que tout nous opposent, ta famille nous est chère. A toute deux."

Et maintenant quelle avait parlé elle avait les yeux rougit. Aucun larme ne perlait mais elle sentait que sa fierté face à Louisa s'amenuisait et laissait place à toute la tristesse qu'elle avait accumulé ces derniers jours, toutes ces inquiétudes, ces doutes. Être une sorcière était bien plus compliqué que la couturière ne semblait l'imaginer.

Baron(ne)

Quelques mois plus tôt l’argument le plus intelligent de la jeune noble aurait fonctionné. Parce qu’en effet madame Zimmerman n’aurait jamais ouvert sa porte à une sorcière. Mais l’hiver dernier une sorcière avait obligé celle-ci à revoir ses certitudes. Depuis que Viviane lui avait révélé sa double vie les choses avaient évolué. Ça n’avait pas été facile. Mais les deux femmes avaient trouvé un accord.
La haine de la dame s’était progressivement transformée. L’aboutissement de cette évolution avait eu lieu quand elle avait organisé cette grande réunion avec –tout- Forbach. S’entendre dire pour la deuxième fois que les sorcières étaient là pour prendre soin des pauvres petits mortels de Moselle avait le don de l’excédée.

« Mais qui croyez-vous êtes au juste, pour juger de ce que nous devons ou non savoir ? Pour décider de ce qu’il faut ou non faire ?
Vous êtes les sauveurs de Forbach, c’est ça ? Je l’ai déjà entendu ce discours, de la bouche d’une de tes sœurs. Sauveur contre quoi précisément ? La magie noire ?
La magie attire la magie, non ? Est-ce que ce village aurait été perturbé, si vous n’aviez pas décidé de vous implanter ici ? Est-ce que les inquisiteurs auraient pendu autant de femmes innocentes ou trainé dans la boue tout ces gens honnêtes, sans vous ? Dis-le-moi Elena ?
Cet Ange n’aurait pas eu de « crime exceptionnel » à punir sans votre italien sorcier et sa chère femme. »

Louisa n’avait pas tout à fait oublié qu’elles étaient au Fil Blanc. C’était une chance pour la jolie cachotière. C’était comme si la conversation se répétait. La blessure et la colère étaient moindres. Le courage manquait pour aller défendre les droits des simples petits habitants de Forbach. Pourquoi s’obstiner à vouloir ouvrir les yeux d’une bande d’égoïstes ?
Les fins doigts relâchaient doucement les armes. La lassitude vieillissait la baronne. Le charme passé n’étaient plus du tout visible. Les rides tendres déposées par la maternité avaient disparues. Un goût aigre sur la langue renforçait le sentiment désagréable. Il fallait reprendre le gros manteau et sortir de cet endroit.

« Je suis fatiguée Elena. Je vais rentrer chez moi maintenant. »

La colère avait chuté, comme une pierre lourde, dans le fond de l’estomac. Lou n’en pouvait plus de la rage. Elle voulait oublier. Oublier que son entourage n’était pas ce qu’il paraissait. Oublier que son cœur avait tremblé pour cette jeune femme. Les yeux noirs ne se posaient plus sur Elena. Ils étaient loin.

« Ne reviens pas, à Rosbruck où ici, avant d’avoir été invitée, s’il te plait.
Il faut… que je prenne sur recul. »

Aguerri(e)

« Je suis fatiguée Elena. Je vais rentrer chez moi maintenant. »

Ainsi se clôturait leur discussion mouvementée. Comme le glas sonnait en les entrailles des églises, ici c'était un deuil étrange. Louisa était différente, elle disait avoir déjà entendu un tel discours. Des confessions d'une autre. Et d'après ce qu'elle saisissait il s'agissait bien de Viviane qui avait labouré le terrain si glissant soit-il de la sorcellerie. Le froid mordait la peau d'Elena, bien que la chaleur de l'extérieur fut clémente, le vent s'infiltrait sous les portes. Mais c'était surtout l'accumulation de toute cette pression et de toutes ces choses. Elle était là dehors. Toujours devant le fil blanc. Elle était sortit quand Louisa le lui avait demandé et c'était assise bêtement sur un banc à quelques pas de là. Les yeux dans le vide elle revoyait comme un film. Un très mauvais film. Un de ceux qui calque trop bien la réalité et qui n'apporte aucune joie à son spectateur. Hagarde, elle remuait les paroles de la baronne.

«Ne reviens pas»

Ces trois mois lui lacérait le cœur. Alors elle le réécoutait encore une fois dans son crâne.

«Ne reviens pas»

Qu'est-ce que cela signifiait? Elle avait parlé de prendre du recul. Comme ces histoires de couples qui finissent mal, on prend du recul puis on brise le dernier lien d'un unique coup de lame, une fois que le filin entre les âmes s'est suffisamment étioler.

«Ne reviens pas»

Encore une fois, il lui revenait en tête. Elle le murmura sans en prendre conscience. Son corps était lourd, très lourd, lourd comme il ne l'avait jamais été. C'était désagréable. Elle n'avait plus conscience de son environnement, juste de ce qui se passait dans sa tête. Elle se sentait comme prisonnière de son petit monde. Comme quand Amaël lui avait retourné la tête quand elle l'avait vu mort. Un picotement répété finit par la sortir de sa rêverie.

De l'eau. Il pleuvait lentement depuis déjà quelques temps, assez pour tremper le sol, assez pour ternir le bas de sa robe. Elle regarda le gâchis et releva les yeux, tombant inexorablement sur l'enseigne du fil blanc.

Elle se rappela les derniers mots qu'elle avait dit à Louisa, en passant le pas de la porte. Elle avait brisé un silence trop long, suite à la demande de la dame de quitter les lieux et de ne plus revenir. Elle n'avait plus sa place ici. Son cœur saignait en même temps que celui d'Elena, mais la douleur était différente. L'une sentait le poison de la culpabilité finir de la ronger, pendant que l'autre se faisait transpercer par la lame de la trahison. Deux douleurs lancinantes à la saveur acide.

"Pardon." lui avait-elle souffler en russe.

Dans la langue natale de la Baronne. Ce petit mot qu'elle avait retenu parmi tant d'autre. Ce petit qui lui était venu naturellement. Elle voulait s'excuser. Et y mettre toute la profondeur qu'elle y pouvait. Ce n'était pas pour l'adoucir. C'était pour qu'elle soit consciente qu'Elena attendrait. Elle attendrait ici des années. Mais elle saurait être patiente. Elle ne tomberait pas dans ce piège des cœurs faibles. Elle continuerait d'aimer cette grande dame. De la chérir dans son cœur, à défaut de pouvoir faire mieux. Elle rachèterait cette erreur passée, si Louisa le voulait. Et Louisa était intelligente, autant que passionnée. Ce qui rendait l'issu de ces révélations incertaines. Elle serra les poings et se redressa enfin de sa position quasi fœtale. Elle ne laisserait pas cette dispute la gifler plus longtemps. C'était fait. Il fallait maintenant attendre. Rester patiente, et disponible. Dés que Louisa accorderait à Elena le droit de revenir, elle serait là, plus patiente que jamais. Elle embrasserait les enfants, câlinerait sa filleule. Elle passerait des heures entières avec les grands pour leur conter des histoires. Elena se battrait pour prouver à Louisa qu'elle valait quelque chose si elle lui laissait juste une chance. Une unique chance.

Le visage détrempée par la pluie, la jeune femme fixa un regard déterminé sur la boutique. Louisa déciderait, quant à elle, elle se plierait à son choix. Mais jamais plus elle ne laisserait le doute à la Baronne. Récupérant son cheval, la cadette des Mirova quitta la ville et rejoignit le Manoir. Ses gens courraient vers elle pour la débarrasser de sa tenue gorgée d'eau et elle alla prendre un bain. Une fois dans celui-ci, elle profita d'un temps de répit.

"Je te jure Louisa, je te le promets. Jamais plus je ne te mentirais. J'espère qu'un jour tu m'ouvrira à nouveau ta porte."

Elle quitta les lieux ensuite et se coucha. Demain elle devait se rendre au sein du Lys pour s'entretenir avec Noâz, selon ses ordres. Elle devait donc être en forme et effacer toutes ces cernes qui entachait son visage et le vieillissait légèrement. Il ne fallait pas que le Meneur ait l'impression de faire face à une de ces créatures assoiffées de chaire dont les contes parle.

Baron(ne)

Louisa Zimmeran pouvait maintenant faire une liste. Une liste complète de touts ces doubles visages qui vivaient ici. Elle pouvait les condamner au bucher. Viviane, Cassandra, probablement la petite Narcissa, Elena, Antoine… qui d’autres encore ? Peut-être le boulanger. Peut-être David, ou Mélanie. Elle n’arrivait ni à pleurer, ni à rire, de toute cette ironie. C’était… morbide n’était pas le moment, pourtant c’était le sentiment qui compressait sa cage thoracique.

L’écho du dernier mot d’Elena accompagnait les pas de la baronne qui marchait dans la Grande rue. Le bruit ambiant était dilaté. C’était un rêve éveillé. Bientôt Romain viendrait murmurer à son oreille pour la tirer de ce cauchemar ressurgie de l’hiver.

Прощение

Un mot venu de loin. Très loin. D’un autre monde, où en fin de compte, ils auraient certainement été plus en sécurité. Le même mot qu’elle avait dit à sa mère Nastasia, au moment où celle-ci était montée dans la carriole qui la mènerait loin de Forbach. Fallait-il que toutes, à un moment donné, salisse et abandonne, la fille métisse aux doigts de fée. Tout aurait été beaucoup plus simple si Lou avait enfin apprit à fermer son cœur aux émotions. Mais elle s’était laissé allée à aimer cette jeune fille… comme une nièce retrouvée. Faible femme.

Прощение

Tels les mots magiques de la langue des hommes qui, peu à peu, perdaient leur sens et leur pouvoir sur leurs créateurs. Non, plus de magie, en ce monde, celle-ci faisait plus de mal que de bien. Ils n’en avaient pas besoin. Elle voulait être une simple mortelle, et mourir vieille et heureuse aux côtés de son époux. Mais c’était trop demandé.

Прощение

Louisa marchait sans réel but dans ce village maudis des dieux et des démons. Peut-être était-ce elle, qui dans peu de temps, finirait par le souffler à sa petite fille, pour n’avoir pas trouvé comment la sauver. Une énorme houle de découragement menaçait de la faire vaciller.