Le vieux Loup n’avait jamais quitté la ville de Forbach, en effet. Son enquête et toutes les pérégrinations qu’il avait pu vivre durant son épopée dans cette bourgade emplie de superstitions et de mystères l’avaient fait rencontrer Inès Gallois, une jeune femme charmante de laquelle il s’était finalement épris. Démissionnant auprès de la Reine, il avait gardé une existence paisible à l’écart de la ville, dans la demeure de l’herboriste, continuant néanmoins une correspondance assidue avec la capitale du Royaume, qu’il s’agisse de simples lettres à son ami médecin ou quelques missives qui lui demandaient consultation dans des affaires en cours. S’occupant des tâches qu’un homme aimait à s’occuper dans la demeure, il avait aidé à réparer quelques menues choses dans la maison qu’il partageait désormais avec une femme. Quand son ami l’avait appris, il avait d’abord conclu à une farce de son camarade mais comprit bien vite qu’il était très sérieux. Ce dernier était d’ailleurs déjà passé, une fois, pour faire connaissance de « l’heureuse élue ». Bien entendu, ils étaient restés silencieux sur le fait qu’Inès était une sorcière car il était évident que l’ancien enquêteur l’avait vite compris même si elle n’avait jamais cherché à le lui cacher. Si son esprit cartésien n’aurait jamais accepté cette idée à l’époque, les choses qu’il avait pu voir et côtoyer durant son enquête avaient suffisamment remis en doute quelques fondements de sa pensée. Qui plus est, avec quelques explications de la part de son amante, certaines choses qui paraissaient inexplicables autrement que par la « magie » prenaient finalement raison sous le coup d’une logique ésotérique qui, elle-même, faisait grand sens, même si certaines choses pouvaient demeurer obscures. Mais peut-être principalement parce qu’il n’était pas sorcier lui-même. Quoiqu’il en fut, il ne fallut pas longtemps au Loup solitaire pour apprendre à vivre autrement.
Cela faisait longtemps que l’on ne murmurait plus dans son dos, qu’on le regardait avec le sourire sans même se souvenir qu’un jour il n’avait été qu’un étranger fouineur. Le comportement des habitants de Forbach ne l’avait pas gêné à cette époque, parce qu’il avait toujours eu l’habitude de ce genre d’accueil. Occupant ses journées entre le bricolage et quelques promenades, il n’était pas rare de le croiser au marché, tandis qu’il s’occupait de récupérer les quelques affaires dont le couple aurait besoin pour les jours à venir. Avec la « pension » qu’il avait obtenu de la famille royale, il n’était vraiment pas miséreux. Avant l’hiver, le simple homme qu’il était devenu avait renforcé le toit de la chaumière et avait construit un petit abri pour le jardin de la sorcière afin qu’elle puisse faire pousser quelques plantes coriaces qui résistait au froid dont elle avait besoin pour ses potions en tout genre. Curieux, il n’hésitait pas, lorsqu’il avait le temps, de regarder comment elle s’y prenait, l’art des décoctions n’ayant absolument rien de magique. Possédant une petite connaissance sur le sujet, il avait jugé bon de pouvoir l’approfondir, ne serait-ce, éventuellement, que pour l’assister si un jour le besoin s’en faisait sentir. Avec tout cela, la vie se déroulait « tranquillement ». Bien entendu, il n’était pas étranger à tout ce qui se déroulait à Forbach, et même s’il essayait de garder beaucoup de recul vis-à-vis de toutes ces choses qui ne le concernait pas vraiment, il veillait toutefois à s’assurer qu’Inès ne prenait pas de risques inconsidérés. Son existence entière gravitait autour d’elle, il aurait été fort difficile pour Owen de dire avec certitude qu’il aurait su quoi faire si elle devait lui être enlevée. L’Agent du Diable était déjà du passé pour eux mais il aurait été certainement difficile et éprouvant de vivre un événement similaire…
En ce mois de Janvier, la neige recouvrait d’un lourd manteau une bonne partie de la ville et de ses environs. La maisonnée elle-même semblait parfois un peu souffrir – à en croire le bois – de l’épaisse couche blanche qui la surplombait. Assis dans un fauteuil, près du feu, solitaire, le vieux Loup lisait quelques vieilles lettres qu’il avait ressorties de son bureau quand il entendit frapper à la porte. Délaissant ses papiers, il se demandait qui pouvait être à la porte. Sans chercher à deviner davantage – ces énigmes là n’étaient pas celles qu’il préférait – il se dirigea vers l’entrée et ouvrit la grande porte de bois. La Baronne Zimmerman… En voilà une surprise ! Perdue dans son hermine, il aurait pu être difficile de la reconnaître mais l’enquêteur avait toujours eu une très bonne mémoire visuelle. Le ton de la femme l’alerta pourtant et fit disparaître le léger sourire de courtoisie qu’il avait affiché.
« Entrez Madame la Baronne, je vous en prie. » Il s’écarta de l’entrée pour la laisser passer et lui proposa gentiment de la débarrasser de ses chaudes affaires qui ne pourrait que la gêner à l’intérieur où l’atmosphère était bien plus tempérée.
« Je vous en prie, faites comme chez vous, mettez vous à l’aise près de la cheminée. Vous désirez peut-être un peu de thé ? » Avec le temps et la présence d’Inès à ses côtés, le vieux loup s’était fait un peu plus social, mais peut-être parce qu’à l’heure actuelle, il n’était pas l’enquêteur que la Baronne avait pu connaître mais seulement un homme comme les autres. Son ton était resté cordial, bien que sérieux, apparemment, il avait compris la « gravité » de la situation ou du moins celle que lui accordait son invitée.