On l’avait appelé depuis son antre glacé pour accomplir ce qui avait annoncé le glas de son retour. Les signes avaient été partout présents autour d’elle lors de sa retraite. De loin, comme accompagnée d’une force invisible elle avait suivit la grossesse d’Alicia. Jours après jour elle avait observé et interprété les signes que la nature lui envoyait et très vite elle avait su…
Quelques jours avant la fête de la Saint jean, elle avait rassemblé ses affaires et quitté son refuge pour rejoindre le château. Sans bruit elle avait regagné sa demeure et retrouvé Alicia. Lentement elle avait posé ses mains sur le ventre de celle-ci et sans que rien ne transparaisse elle avait eu la confirmation que la vie serait multipliée par trois.
Mais la naissance est souvent le lieu d’inégalité, et Mina ne pouvait l’ignorer. Elle connaissait trop bien celle qu’elle considérait comme une sœur pour ne pas croire que ces 3 enfants auraient pas la même chance. Déjà en d’autres temps, Alicia n’avait pas eu la même face à sa sœur et si le cœur de la grande prêtresse n’avait rien de commun avec celui de sa sœur, Mina savait que seul l’héritier aurait son importance.
Etre le second n’est pas la meilleure des places mais il trouverait la sienne avec l’aide des autres sorcières du Lys noir, par contre le dernier n’aurait rien si ce n’est la souffrance de suivre les pas de ses frères dans l’ignorance la plus totale….
Oui, la naissance sème l’inégalité mais l’égalité prend sa revanche avec la mort….
Vois toi qui est le témoin de cet instant, le masque d’une souffrance qui amène l’enfantement et déjà le soulagement de reconnaître en celui qui vient de naitre l’essence d’un mari aimé et chéri, que la mort est venue trop tôt vous enlever. Willémina savait déjà que cet enfant serait celui qu’Alicia ne laisserait pas approcher, celui vers qui la totalité de son amour irait…Ou presque. Déjà le cadet foule les traces de son ainé et son cri revendique ce droit à ne pas être oublié de tous, y compris de sa propre mère qui en le nommant lui rappelle qu’il ne le sera pas mais qu’il ne peut espérer égaler le premier. Il faut pleurer les hommes à leur naissance dit on et non à leur mort, car c’est au cours de leurs vies qu’ils sont le plus à plaindre. Une larme trouble coule sur les joues diaphanes de la sorcière accoucheuse et c’est le dernier doute avec elle qui s’évanouit.
Le voilà enfin…Aucun cri, aucun pleur …Seul un échange de regard…
*Tu sais déjà mon ange, que la vie ne t’est permise que dans la discrétion. Te voilà enfant du courage …Noâz mon tout petit…*
L’instant parait figé mais il n’en ai rien. Le doigt de la fleur noire caresse doucement les lèvres de l’enfant qui ne l’a pas lâché du regard, et qui esquisse un sourire timide, sans bruit. Lentement Mina baisse son visage en signe d’approbation, et laisse l’enfant téter son doigt où le liquide moiré d’une substance étrange glisse dans la gorge du nouveau né. Les paupières se ferment doucement sur le regard noir de la prêtresse tandis qu’elle tend le petit corps vers une vieille servante au regard voilé par les ans, et à la langue tranchée qui sait déjà ce qui doit être fait.
Sans rien paraître Mina se tourne alors vers Alicia et lui annonce que l’enfant n’a pas survécu, que la vie n’a jamais occupé son corps et ce sans doute parce qu’il ne voulait pas quitter son père…
" Alicia…Peut être ne vaudrait il mieux ne pas ébruiter cette mort…Certains verront cela comme l’annonce d’une malédiction, et j’ai bien peur que cela n’affaiblisse le Lys noir en donnant plus de force à nos détracteurs…Ce n’est qu’une suggestion bien sur, mais peut être devrions nous passer sous silence cet incident regrettable… "
Le regard de la jeune femme se fit plus doux qu’à l’accoutumée, un regard que seul Alicia avait déjà vu et qu’elle seule pouvait alors reconnaître. Bientôt l’annonce serait officielle, déjà des bruits couraient dans le conté, et il devenait important de bien choisir ce qui devrait être dit.