Les voies du Seigneur...

Oblivius

Le trajet avait été éprouvant et ce fut les jambes chancelantes et les yeux cernés que le frère De Villon descendit de la voiture de poste.
Le cocher, l'oeil mauvais, lança son sac à ses pieds avec un reniflement de mépris, puis se hâta de faire claquer son fouet. La voiture s'ébranla dans un cliquètement de harnais et d'essieux fatigués.
Apparemment, il n'avait aucune envie de s'attarder à Forbach.

Alors que le bruit brinquebalant de la calèche s'estompait en passant le premier virage, Joachim jeta un regard circulaire autour de lui.
A cette heure de la nuit, les rues étaient désertes. Le ciel bas et gris comme éternellement orageux contrastait avec la douceur de l'air.
Forbach.... La fin du voyage.

De Villon s'étira en se remémorant toutes les étapes des sept derniers jours.
Le trajet commencé dans le carosse de la congrégation : Rome, Gènes, Turin. L'arrivée en France et le reste du trajet en voiture de poste, en compagnie de nobles impécunieux et de bourgeois prospères. Les tentatives d'accouplements économiques entre ces deux catégories l'avaient distrait. Au début.
A partir de Dijon, les regards s'étaient faits plus méfiants, plus fuyants, les conversations plus rares. L'enquête générale avait probablement été proclamée dans la région entière.
Il s'était contenté de sourire de façon affable et silencieuse.

Et il sourit encore, pour lui même, alors qu'il se penchait pour ramasser son sac de cuir éraflé. Forbach... Ville martyr soumise à l'hérésie et à la sorcellerie. Pauvres gens.... Perdus... Hagards... S'éloignant du Salut sans même s'en apercevoir.

Il se redressa et, encore ankylosé, s'approcha de la masse sombre de la Collégiale. Certains auraient pu juger son architecture austère, l'inquisiteur n'y voyait que de la simplicité.

Arrivé devant le porche immense de la bâtisse il fronça les sourcils.
Le garde sensé surveiller l'entrée était affalé contre le mur, ronflant et bavant. Comment l'Inquisiteur pouvait accepter un tel comportement ?

La porte de vieux bois bardée de fer était entrouverte. Le prêtre hésita. Devait-il entrer et s'annoncer ou devait-il réveiller et tancer le garde ?

Tout à son questionnement, il ne perçut pas immédiatement le bruit de pas qui s'approchaient.

Mort(e)

Enfin la Collégiale. Gabriel Touchedieu lâcha un juron de soulagement. Il en avait eu des difficultés pour en arriver là. Heureusement que cette jeune fille lui avait indiqué le chemin, parce qu’à l’heure actuelle, il serait sous un porche en train de cuver. L’eau froide de la fontaine et l’air frais de la nuit lui avait enfin permis de reprendre pied et de redevenir complètement lui-même.

Un homme brut, grossier, mais pas stupide non plus. Quel dommage. Il se refit le déroulement de la soirée dans sa tête. Il y avait quelque chose qui le gênait. Mais quoi ?

*Ce n’était pas pendant le concours de beuverie, ce n’était pas dans les bras de la pute, c’était après, avec la morveuse… La morveuse…*

Gabriel Touchedieu faisait des efforts désespérés pour expliquer son pressentiment. Que faisait cette adolescente dehors en pleine nuit ? On savait bien que la nuit appartenait aux sorcières et aux ivrognes à Forbach. Un engrenage se mit à cliqueter dans sa tête. Le résultat du raisonnement ne se fit pas attendre.

« Meeerde ! »

Toute une série de jurons suivit le premier, pire les uns que les autres. La plupart remettaient en cause la moralité de l’ascendance de la morveuse. Evidemment, Gabriel n’était pas en pleine possessions de ses moyens, n’avait même pas un couteau pour se défendre, et il ne pouvait mobiliser ses hommes en pleine nuit sans donner d’explications. Et s’il donnait des explications, c’était la fin de tout. Il lui faudrait expliquer pourquoi il était dehors après le couvre-feu, et c’était un coup à se faire gicler par la fenêtre.

*P… de gamine ! Quand je t’attraperai crois moi tu regretteras l’enfer ! Je vais te faire goûter à tout ce que j’ai appris comme raffinements en plus d’un demi-siècle !*

Pendant deux minutes il déblatéra dans ce registre là. Il s’en voulait énormément, il en voulait à la fille, et la prochaine fois qu’il la verrait, il se jura qu’il aurait un gourdin sous la main et qu’il lui défoncerait la cervelle. Depuis combien de mois pourchassait-il des ombres ainsi ? Beaucoup trop ! Alors pour une fois qu’il pouvait en capturer une, et qu’il était passé à côté, c’était plus que rageant, c’était à en exploser de rage ! Plusieurs mois que Touchedieu et ses hommes se faisaient ridiculiser dans cette chasse démente, plusieurs mois qu’il devait supporter un chef comme Institutoris, avec qui il n’était pas du tout d’accord. Plus ca allait, plus Gabriel Touchedieu était persuadé que la meilleure solution, c’était foutre le feu à tout le village, et tuer les survivants.

Il n’y avait que ca de vrai, la destruction. C’était une solution simple, directe, facile à mettre en place, et qui avait des résultats immédiats. Depuis soixante ans, Gabriel Touchedieu avait entièrement bâti sa vie sur la destruction. Quand bien même il avait reçu cette vision qui avait changé sa vie, il n’avait pas changé sur ce point. Il l’avait simplement adapté à l’Inquisition. L’Inquisition est le bourreau de la Justice Divine, et Gabriel Touchedieu n’imaginait pas des bourreaux qui se posaient des questions. Quand on doit extirper la vermine on fait ce qu’il faut pour. Quand cette vermine est dangereuse, alors il faut mettre le feu. C’était aussi simple que cela.

Oui, un grand feu. Un incendie qui déclencherait les peurs. Durant sa carrière de brigand, Gabriel avait souvent incendié des fermes ou des granges. C’était très amusant de voir les réactions de la population face aux flammes. Le mieux c’était quand les gens sautaient par la fenêtre pour échapper aux flammes et s’écrasaient en contrebas. Il y avait aussi les pères de familles qui rentraient dans le bâtiment pour aller sauver un membre de leur famille qui était resté et qui finalement y restaient eux aussi. C’était jouissif de voir ces tragédies. Pendant qu’elles se déroulaient, Gabriel Touchedieu se baladait comme un demi dieu, à observer la violence se déchaîner, intouchable et savourait ce poison qu’était le pouvoir. Il avait le pouvoir de détruire et il s’en était délecté toute sa vie.

Dans le fond, malgré sa rencontre avec Dieu, le Gourdin de l’Inquisition n’avait pas changé : il était toujours cet homme profondément tordu, qui ne concevait le bien qu’à travers la violence. A son âge il était clair qu’il ne changerait pas : aucune femme ne voudrait de lui, il n’avait aucun ami parmi les inquisiteurs. Et ce n’était pas avec le métier qu’il faisait qu’il apprendrait la compassion.
Une voiture s’arrêta devant la facade et déposa un passager pourvu de remarquablement peu de bagages. Il était habillé trop sobrement pour être un habitant.

*Et allez, encore un collègue… Comme si ca servait à quelque chose…*

Il regarda son propre accoutrement. Il avait quasiment les habits d’un paysan. Des braies et une tunique en fibres de chanvre, et un capuchon en feutre qui actuellement était baissé, laissant ses cheveux assez courts libres. Seul accessoire à peu près digne de ce nom, ses bottes de cuir qui lui montaient à mi-mollets. Si c’était ainsi qu’il se présentait à l’autre collègue, à coup sûr il le regarderait d’un drôle d’air

*Qu’il aille se faire foutre s’il fait un commentaire !*

D’un pas décidé et bruyant il parcouru les derniers mètres qui le séparaient de la collégiale. Un détail qui lui avait échappé apparut à ce moment : le garde de service était affallé le long de l’encadrement du portail. Sans même s’intéresser à l’inconnu, Gabriel Touchedieu se précipita sur le garde, le prit par le col et le secoua. Aucune réaction. Ce n’était pas naturel.

« Putain ! C’est quoi ce bordel ? »

Il leva le regard et fixa le nouvel arrivant droit dans les yeux

*Je vais peut être pouvoir me venger de la gamine…Rien ne me dit que c’est un inquisiteur*

« Vous êtes qui vous ? »

Oblivius

De Villon allait de surprise en surprise.

Le siège de l'Inquisition ouvert aux quatre vents, gardé par un soldat endormi et maintenant ce rustre, puant la mauvaise vinasse qui se permettait, à peine arrivé, de secouer ce garde en proférant force jurons malséants.
Habituellement, on accordait plus de respect que cela aux membres de l'Eglise. Que se passait-il ici ? Ce ciel étrange, ces rues désertées en plein été, des gueux qui osaient secouer des soldats de Dieu comme des pantins...

Et pourquoi ce dernier ne se réveillait-il pas ? La vieille brute le secouait tellement qu'on entendait ses dents s'entrechoquer. Et pourtant, il continuait de ronfler.... Etait-il soul ? Assommé ?...

Le prêtre allait intervenir quand le manant se retourna vers lui et l'apostropha d'un ton rude.

Il en resta muet de saisissement. Comment osait-il ?

* Pardonne, Joachim, pardonne.... Il ne sait pas ce qu'il fait... Mais s'il continue, il va vite apprendre...*

"Je suis Joachim de Villon. Inquisiteur envoyé par sa Sainteté Urbain VIII afin d'assister Louis Institoris dans sa noble et lourde tâche... Et vous êtes ? "
Le ton était aimable mais la figure affichait une certaine désapprobation.

Mort(e)

*Merde, c’était bien un collègue !*

Le Gourdin de l’Inquisition n’était pas à une erreur près. Cependant, la manière qu’avait ce… Joachim de Villon de se présenter lui hérissa le poil

« Je suis Gabriel Touchedieu, et si vous ne connaissez pas ce nom, on me connaît sous le surnom du Gourdin de l’Inquisition. Et oui, moi aussi je suis envoyé par ce cher Urbain pour me débattre avec Institoris dans ce… »

Il allait dire « merdier » mais il avait déjà été suffisamment grossier, et il était inutile de s’attirer un ennemi de plus. Non pas que Touchedieu avait besoin d’amis, pour ca il avait ses hommes, mais le mépris suffisait, inutile de rajouter encore des difficultés. Il y avait ce cher Philip Lauenburg pour cela.

« Dans ce village. »

Ouais, la fin était pas heureuse, mais on s’en fichait un peu. Il y avait plus grave.

« Depuis à peu près dix ans, je joue mon rôle d’inquisiteur, accompagné de deux fidèles compagnons : mon gourdin et mon caractère de chien. Grâce à moi, près d’une cinquantaine d’âmes ont rejoint le paradis plus ou moins directement. Les plus chanceux sont passés par les tribunaux. Certes je ne suis pas exactement ce qu’on attend d’un serviteur fidèle du Seigneur, mais bon, c’est pas avec moi ou un de mes mignons que ce genre de chose arriverait. »

Il désigna le garde, lui administra une ou deux claques en vain. Bien entendu, il provoquait un peu ce Joachim à travers une présentation peu orthodoxe. Cependant, il avait évité de mentionner son ancienne vie de brigand. Il savait que c’était un sujet qui liguait les gens contre lui. Personne n’accepterait de travailler aux côtés d’un ancien tire-bourse, d’un homme qui se complaisait dans la bestialité. Gabriel Touchedieu était suffisamment criard comme ca. Avec son arme ignoble et son vocabulaire particulier tout à fait impropre à l’image d’intouchabilité que voulait renvoyer la plupart des inquisiteurs, il était déjà trop décalé.

« En attendant, pourrais je vous demander si vous avez fait bon voyage ? »

Il se mit sur le porche du bâtiment et scruta les ténèbres. Qui avait donc mis ce soldat endormi ? Ce n’était pas naturel. Gabriel Touchedieu fit un sourire carnassier. Si c’était ce qu’il pensait, il aurait peut être l’occasion de se venger de cette foutue morveuse qui l’avait ridiculisée.

Si c’était de la magie qui avait déclenché le sommeil du garde, alors c’est qu’une sorcière était rentrée dans la tanière des inquisiteurs.

« Mon cher Joachim vous voyez ce déchet ? Je vous explique très vite : votre mission au cours des prochains mois sera de traquer les personnes capables de faire ce genre de chose. »

Le Gourdin de l’Inquisition songea à ce qu’il ferait à la Sorcière s’il lui tombait sous la main. Gabriel Touchedieu rit. Ah que la nuit était belle !

Oblivius

* Un inquisiteur ? Lui ?... Il y a vraiment d'étranges choses dans ce village...*

Le nom ne lui disait absolument rien... Par contre le surnom l'interpella...Il lui semblait se rappeler avoir lu un rapport sur ce "Gourdin de l'Inquisition" au Vatican... Mais impossible, à ce moment, de se souvenir du contenu...

Joachim avait toujours considéré l'Eglise comme une grande famille accueillant en son sein toutes les âmes pures, rustres comme nobles. Le côté rustre de Touchedieu ne le genait pas. Il était cependant beaucoup moins convaincu par la pureté de l'âme du vieil inquisiteur.
Il interrompit ses reflexions sur son étrange compagnon lorsque ce dernier lui désigna le garde.

Ils partageaient bien la même opinion. Ce sommeil n'était pas naturel. Evanouissement, empoisonnement au pavot, peu importe la cause, mais on n'avait pu neutraliser ce garde que pour une seule raison : pénétrer dans la collégiale.

Qui pouvait être assez fou, assez déterminé pour venir s'attaquer à l'Inquisition ?
Joachim avait rencontré des hérétiques plein de morgue, des inconscients tellement sûrs de leurs croyances déviantes qu'is répondaient avec haine et mépris aux questions du Tribunal. Du moins au début....
Mais jamais il n'avait entendu parler d'hérétiques allant jusqu'à attaquer l'Eglise. Fuir, oui, souvent. Résister, quelques fois. Mais prendre l'initiative ?

Il frissonna, autant de peur que d'excitation. Un tel adversaire devait être dangereux. Mortel... Mais qu'il serait bon de le mettre à genoux. De le sauver, malgré lui, de lui faire abjurer ses croyances et confesser ses nombreux péchers.

"Hein ?....Bon voyage ? Euh... Oui... Ca a été, je vous remercie...
Mais... Dites moi... Qui pourrait être capable de ça ? "

Coup de menton vers le pantin affalé. Les secousses prodiguées par Touchedieu n'avaient eu aucun effet.

Vous êtes à Forbach depuis longtemps ? Avez vous des pistes ?

S'il ne semblait pas être un inquisiteur au dessus de tout soupçon (il n'y avait qu'à sentir l'odeur qu'il dégageait et s'interroger sur sa sortie nocturne), il avait clairement une certaine expérience que Joachim, lui, reconnaissait ne pas posséder.

Tout en attendant la réponse de son collègue, il s'avança vers la porte entrebâillée, enjambant le corps plongé dans les songes. D'une main qu'il voulait ferme, il poussa le battant.

Autant vérifier...

Meneuse

[ - Début de ce post et du topic Joan/Alicia : ici - ]

Alors que le verrou s’ouvrait discrètement, alors que les paroles d’Alicia cessaient et qu’un silence naissait, Alicia crut entendre un bruissement à côté. Elle fit signe à Joan de se taire tout en se dirigeant vers la porte. Mais alors qu’elle était à quelques mètres à peine de la porte, juste hors de l’angle de faible lumière lunaire que cette dernière laissait passer, elle aperçut les ombres de deux silhouettes qui glacèrent son sang. Elle ne put retenir l’expression de sa surprise, un « Ah… » qui aurait pu ressembler à une forme de déception. Ca risquait fort de tout compliquer ! Après l’effroi, Alicia ressentit une vague d’adrénaline, son cœur battit plus vite, l’excitation montait. Elle n’avait pas de plan B. Le plus fluet des deux ouvrit soudainement la porte plus largement. La lumière atteint la Comtesse dont on pouvait à peine voir le bas du visage sous l’ombre de son vêtement. Elle saisit la main de Joan et la tira contre elle. Il allait falloir agir vite, et fort.

L’homme, qui ne pouvait être qu’un inquisiteur et donc actuellement le plus gros danger encouru par les deux femmes, posa rapidement son regard sur les deux sorcières. Alicia sentit une décharge électrique en elle. Cette stimulation, elle ne l’avait plus vécue depuis bien longtemps. Elle sourit narquoisement, provocante et belle. Dans une malice désemparante elle déplaça avec délicatesse et lenteur la torche vers son visage jusqu’à ce qu’il l’éclaire un peu au-dessus du nez. Elle comptait sur l’effet de surprise et de fascination pour gagner suffisamment de secondes pour la suite. Elle inspira profondément, gonflant sa poitrine de l’air froid et humide de la collégiale. Puis, souffla sans violence, avec grâce même, sur le flambeau qui devint l’extraordinaire allégorie de toutes les lumières perceptibles par les yeux humains en cette scène.

Au fur et à mesure que l’expiration de la sorcière diminuait l’intensité de la flamme, les ombres majoritaires de l’alcôve comme des arbres au dehors s’étendaient en nappes de fumées ciselées, en tentacules éthérés enserrant les sujets visibles dans les ténèbres. La torche d’Alicia semblait être la maîtresse absolue ordonnant à la lune et aux flambeaux des inquisiteurs. Rapidement les dernières braises rougeoyantes au bout du bâton éclairèrent un filet de fumée final. Tout fut plongé dans le noir absolu. Alicia glissa un morceau de papier dans la main de Joan en priant pour qu’elle sache lire et lui glissa à l’oreille :

« Cours. »

[ - Le plus logique est que Joan réponde à la suite de ce post, puis Gabriel, Joachim... - ]

Mort(e)

[précédemment : Les cachots - La Libération]

Tout s'était passé tellement rapidement. Bien sûr, Joan avait eut des interrogations, mais au fond d'elle-même, elle n'espérait que vivre, sans vouloir penser aux conséquences de cette évasion. Alicia lui avait répondu que seule sa morale l'avait décidé à venir à son secour, peut-être était-ce bien vrai. Peut-être la comtesse avait de réelle intentions disons... humanitaires. Après tout, Joan ne l'avait que peu vue, et surtout, elle n'avait jamais conversé avec elle. Les nobles gens ne s'adressent pas aux domestiques... Domestique... C'est bien ce qu'elle était avant cet emprisonnement, elle était au service des D'Hasbauer. Elle était celle qui devait servir, mais pourtant jamais elle n'avait été en aussi bonne position de toute sa vie. Du moins depuis la mort de son père. Elle regretait ces événements qui l'avait éloignée de la meilleure vie qu'elle n'avait jamais eut, et dont elle n'était pas responsable. Elle était simplement victime du destin. Le clan d'Olrun avait été sa famille, les enfants d'Hasbauer lui manqueraient... Mais il arrivait un temps dans une vie où il fallait choisir la survie. La comtesse n'avait pas attendu sa décision finale, et elle avait bien fait. Malgré le fait que la comtesse attendait un service en retour. Le grimoire de lumière du clan d'Olrun. Cette trahison était difficile à avaler, mais il était trop tard maintenant. Dans ce monde, on ne pouvait être loyal à tous. Probable qu'on la condamnerait chez les sorcière d'Olrun de ne pas avoir choisi la mort plutôt que la trahison, mais au fond... Qui d'entre elles auraient accepté de donner leur vie? On ne pouvait le savoir qu'au moment fatidique, et par chance pour elles, elles ne s'y trouveraient probablement jamais. Alors, elles ne pouvaient qu'accuser dans le vide.

Cependant dans leur course pour sortir des cachots baignés d'obscurité, elles n'avaient pas pensé que des inquisiteurs se trouveraient plus près qu'elles ne l'aurait cru. La comtesse tenait fermement la main de Joan d'une façon sec mais attentionnée. Elle avait fermement décidé de la sortir de là, et Joan se plaisait à croire qu'elle ne prendrait pas autant de risque que pour un simple bouquin. Non, certainement, le grimoire d'Olrun n'était pas un livre sans intérêt, mais la comtesse était visiblement puissante, le savoir des anciens, elle aurait pu se le procurer d'une toute autre façon. Mais il semblait tout de même que la meneuse était une opportuniste. Joan avait appris ce jour-là, qu'elle pouvait l'être aussi.

Mais sur le moment, rien n'importait d'autre que la survie qui était maintenant compromise par ce face à face avec deux inquisiteurs. La comtesse était une noble dame. Seule, elle aurait sans doute pu trouver une explication pour sa présence sur les lieux, mais la voilà qui se promenait d'un pas plutôt rapide en compagnie d'une fille qui était une prisonnière quelques minutes plus tôt. Joan n'était qu'une apprentie. Jamais elle n'aurait pu trouver de stratagème pour se sortir de là. Mais la comtesse avait réussi un exploit. L'obscurité était parfait. Tout le monde y était vulnérable, même les inquisiteurs. Alicia n'eut qu'à prononcer un mot après avoir glissé un morceau de papier dans la main de Joan, pour que celle-ci déguerpisse. Elle ne perdit pas de temps. Ramassant le bas de sa jupe, elle se mit à courir aussi vite qu'elle le pouvait handicapée par cette noirceur. Elle ne pu même pas se rendre compte si elle était suivie. Mais en écoutant le bruit de ses propres pas, elle sut que ses chaussures pourraient la trahir. Rapidement, elle n'eut qu'à glisser les pieds hors de ceux-ci pour les enlever. Sans savoir si elle pu viser quelqu'un (mais en l'espérant), elle les lança derrière elle et poursuivit sa course.

[Suite de ce post : Les sous-sols - Début d'une vie clandestine]

[J'en ai manqué une, où Joan ne sait simplement pas ce qu'il y a d'écrit sur ce papier... Est-ce que je suis sensée le savoir, où si ça viendra plus tard?]
Edit d'Alicia : Je t'explique via MP

Mort(e)

Joachim ouvrit les battants, et Gabriel à sa suite entre dans la collégiale. Comme un prédateur excité, il reniflait l’air, et regardait partout avec ses yeux ecarquillés. Quand on a déjà vécu un certain temps, on finit par développer un instinct, un sixième sens, basé sur l’expérience vécu. Pour Gabriel Touchedieu, ce sixième sens indiquait clairement que ce qu’il recherchait n’était pas loin, et que bientôt, il pourrait se venger de tous ces mois d’humiliation. Il marchait souplement, malgré ses douleurs aux articulations, et son souffle s’accélerait. Bientôt…

Il sursauta quand il put voir une torche sortir des cachots. Sa première envie, ce fut de se jeter sur le porteur de torche, mais si c’était un collègue, ce serait très mal pris. Il stoppa et attendit la suite, histoire de voir si le visiteur était bien ce qu’il pensait. Machinalement sa main voulut dégainer son gourdin, compagnon de toujours. Mais Gabriel Touchedieu n’était pas armé. Il réprima un juron. Même pas de couteau dans sa botte ! Il faudrait attaquer à main nue si c’était une sorcière. Et ce n’était pas la meilleure solution, elle aurait le temps de lancer on ne sait quel charme, et elle lui échapperait. Raison de plus pour être rapide, malgré son grand âge.

Enfin la torche était visible. Celui ou celle qui la portait non, car son visage était caché derrière les flammes. En revanche, derrière le porteur de torche, il y avait… la meurtrière ! Celle qui avait voulu tuer Louis Institoris ! Le porteur de torche était donc un sympathisant ? Lequel ? De la population ou des sorcières ? Même pour Gabriel Touchedieu Joan Witham n’était pas une sorcière. Il bandit ses muscles et prépara une détente fulgurante.

Puis la torche du visiteur baissa de luminosité et avec elles toutes les torches de la Collégiale.

*Oh noooon !*

Gabriel Touchedieu fonca vers ce qui restait de lumière, mais déjà il faisait noir. Il se prit le mur suffisamment fort pour chasser tout l’air de ses poumons. Il hurla :

« Fais chier ! Elles m’ont échappées ! Joachim ! »

Et il repartit, tâtant dans le vague, toutes oreilles aux aguets, tentant de façon ridicule de percer le noir absolu qui régnait. C’était horrible de voir passer sous son nez trois sorcières en une seule soirée ! Au moins maintenant, il en connaissait une sur les trois, car il était acquis que Joan Witham était une sorcière. Désormais, il n’en douterait plus jamais. Et pour une fois qu’il connaissait l’identité de l’une d’entre elles, il en ferait un exemple, il prendrait énormément de plaisir à la débusquer. Il lui défoncerait la cervelle avec soulagement. Il lui ferait…

Il attrapa quelqu’un. Trop heureux de sa prise, il lutta avec cette personne, la maîtrisa en quelques mouvements, mais elle se défendait et se défendait bien. Peu importe, elle ne valait pas un ancien brigand au corps à corps. Il réussit à l’immobiliser, et s’apprêta à l’assommer.

La lumière revint, et Gabriel s’aperçut que la personne avec qui il avait lutté était… Joachim de Villon !

« Merde ! J'aurais préféré que vous soyez une sorcière! »

Oblivius

Sans répondre, le vieil homme passa devant lui, humant l'air de la collégiale.
Ne connaissant pas les lieux, Joachim le suivit, jettant des regard à droite et à gauche sur les statues.

Il se concentra davantage lorsqu'il vit Gabriel sursauter. Dirigeant son regard dans la direction qu'il indiquait, il vit deux femmes monter d'un escalier.

En provenance probablement des cachots se dit-il. Une libération ?

Il y avait là une jeune femme rousse mais il lui fut impossible de distinguer les traits de l'autre. Seule la robe indiquait son sexe.
Que faisaient deux femmes dans la bastille de l'Inquisition ? L'une avait libérer l'autre ? Il cessa de se poser des questions quand Gabriel s'ébranla.

Et ce fut l'obscurité.
Pas l'obscurité de la nuit, peuplée d'ombres et de plages grises, non, le noir absolu, celui qui vous enserre, vous enseveli et vous étouffe.

Il s'arreta brusquement, pour calmer sa peur et sa respiration, craignant l'imminence d'une crise. Une fois son souffle rétabli, il reprit sa marche, calmement, tentant de se guider au bruit de pas, chose peu facile avec les ahannements, grognements et halètements du "Gourdin".

Alors qu'il longeait un mur, une main sur la pierre froide, il lui sembla entendre un bruit de pas léger. Il se lança à sa poursuite.
Soudain, il reçut un projectile au visage et, au même moment, le bruit disparut.
Par reflexe il rattrappa dans ses mains l'objet en train de choir.

Du tissu, du cuir... Un chausson ?
Il n'eut pas le temps de pousser ses reflexions plus avant.
Un démon au souffle fétide et démoniaque, à l'odeur de bête en rut transpirante se jetta sur lui pour le ruer de coups.
Terrifié, il se débattit, frappa au hasard mais la Bête satanique était plus lourde. Il se retrouva immobilisé.

C'est alors que l'obscurité se dissipa et transforma le démon en Gabriel Touchedieu, Gourdin de l'Inquisition.

"Une sorcière ? "Regard suspicieux alors qu'il se relevait et s'écartait, époussetant sa soutane pour se donner une contenance.

"On les a perdues."
Constat d'échec, débité d'un ton neutre. On avait humilié l'Inquisition en son sein même. Ces femelles hérétiques allaient payer.

Et cette obscurité ? Son esprit angoissé avait beau chercher, il n'arrivait pas à trouver une explication rationnelle. Il s'agissait donc bien de sortilèges... Pour la première fois, il se retrouvait en contact avec la magie. Les sorcières qu'il avait jugé jusqu'à maintenant étaient soit de pauvres folles vivant seules au fond des bois, soit des hérétiques qui se chauffaient l'esprit avec des histoires de possession virile et brutale et de charmes amoureux.

"Vous savez de qui il s'agit ? Vous les connaissez ? "
Agir, rapidement, commencer les recherches, prévenir l'Inquisiteur Principal, interroger d'éventuels témoins.
Agir plutôt que de rester avec ces interrogations.

Mort(e)

« Ouais, enfin une sorcière… presque quoi. Je me comprends. »

Gêné, la barbe de Touchedieu se tordit alors qu’il faisait une moue de dépit. Outre son humiliation sur lequel il n’y avait plus lieu de s’étendre, il venait de se battre avec Joachim de Villon, ce qui n’aidait pas vraiment à créer de nouvelles relations. Mais le pire était à venir. Il faudrait annoncer ceci à Institoris. Gabriel Touchedieu aurait encore préféré être victime des sorcières. Non pas parce que l’Inquisiteur principal était particulièrement sévère, mais parce que la blessure d’amour propre qui en résulterait serait assez énorme.

Et Joachim était en train d’enfoncer le clou à constater des évidences. Sur le moment, ca porta sur les nerfs du Gourdin, mais il n’avait pas intêret à s’emporter davantage. La lumière était revenue, pleine et entière, et le hall de pierre froide était plus que vide, et aucun indice de par où les sorcières étaient parties. Oui. Les sorcières s’étaient envolées. Il fallait le reconnaître, de façon aussi lucide que possible.

"Vous savez de qui il s'agit ? Vous les connaissez ? "

Gabriel Touchedieu rameuta quelques souvenirs récents. C’était un peu difficile, et chaque jour, il en oubliait, à cause de son âge. Qu’avait il donc vécu jusqu’ici. Il mit de l’ordre dans ses idées, et se lanca, d’un ton posé, et cherchant ses mots :

« Je suis arrivé il y a quelques mois, ou années, allez savoir. A l’époque, je débarquais dans une fourmilière : des Inquisiteurs avaient été assassinés par les sorcières, pendus par les pieds, la tête recouvert d’un sac, et un pentagramme sur leur front. En réaction, une opération d’envergure, nommée Inquisitio, fut montée et elle consistait à perquisitionner à grande échelle toutes les maisons de Forbach en une seule nuit. Ce fut un véritable échec. Ce fut à ce moment là à peu près que je débarquais.

La première chose qui se passa, ce fut un mariage. Le remariage du dirigeant actuel de Forbach, le Comte de Forbach. Personnellement, c’est le genre de fête où je ne vais pas si la mariée n’est pas jolie et la table pas bien servie. Bon, c’était le cas, mais il y avait trop de beau monde… Enfin bref, rien de bien affolant. Ce ne fut pas le cas de la suite. »

Gabriel Touchedieu cessa de tourner dans tous les sens pour se reconcentrer sur Joachim. Il le fixa droit dans les yeux, avec un sérieux imposant.

« Je vous prie de me croire. Je n’ai jamais été porté sur le mysticisme, et franchement les singeries de ceux qui s’y adonnent m’amusent, mais là, j’ai été forcé de l’admettre. »

Il sourit.

« L’Enfer a ouvert ses portes, et des revenants se sont installés dans ce charmant village de Forbach. J’ai vu des choses aussi cocasses que des casseroles animées, ou des échos improbables, de la part des esprits frappeurs. J’ai pu constater de mes propres yeux l’existence de spectres d’une pâleur mortelle qui cherchait on ne sait quoi. Voire des quasi humains qui traversaient la rue en direction d’un certain objet m’a dessaoulé plus d’une fois je dois l’admettre.

Mais ce n’est pas le pire.

Il y a eu d’autre âmes torturées, infiniment plus dangereuses. Des meurtres inexplicables ont eu lieu. Je me souviens d’avoir enquêté sur un fils qui avait tué son père pour des raisons inconnues. Il était apparu par la suite, que celui-ci avait été possédé, littéralement hors de lui-même, et que l’espace du meurtre, il avait eu l’esprit rempli d’une conscience qui, semble-t-il correspondait à celle de leur voisin, mort l’année précédente, et dont le champ avait été abusivement repris. Enfin bref.

La réaction à cette invasion démoniaque fut simple : on fit appel à des exorcistes. Jonas Angstrom débarqua de Transylvanie avec toute sa clique d'après des ordres provenant de Rome la Sainte. Cette bande de comique alla brouter les parterres des Inquisiteurs et « reprendre les choses en main ». Damnés parasites ! Ils ont débarqués, ils ont enquêtés, et les spectres continuaient de hanter Forbach. Les beaux résultats ! A la messe de la Saint-Jean, ils nous ont alors sorti le grand jeu, c’était du grand spectacle, grandiloquent, pompeux, pathétique. Ils nous ont incendié l’Eglise et ont chassés les spectres comme ca. Du moins officiellement. Enfin bref, il est vrai que l’activité spectrale a un peu diminué depuis.

Et que font les sorcières pendant ce temps ? Aucune idée, je n’ai pas pu mener une seule enquête sur elles, les Inquisiteurs étaient coincés : ils ne pouvaient plus se permettre des coups d’éclats dans le genre d’Inquisitio, et ils avaient déjà suffisamment de problèmes de partages de limites avec les exorcistes pour ne pas pouvoir même enclencher un processus.

Honnêtement, l’attente me ronge aussi sûrement qu’un écureuil bouffe sa noisette. Pendant ce temps-là, les Sorcières se cachent et voilà ! Pourtant il n’y a qu’à venir, taper dans le tas, les sauver puis repartir. C’est aussi simple que cela. Mais non ! Entre le Vicomte qui systématique se met en travers, cette noble qui vit au château, Europe si je me souviens bien, qui castre Institoris, et cette Alicia de Sarrebourg, qui est une autorité morale de Forbach, l’Inquisition ne progresse pas, et ne peut pas avancer !

Enfin bref, vous l’aurez compris, c’est compliqué ! »