Par une matinée ensoleillée, Douce était tranquillement assise devant la table de la cuisine, qui était recouverte d’une nappe blanche et sur laquelle étaient posés trois tasses de lait chaud et des biscuits sortis tout juste du four. Autour de cette table étaient également assises sa mère, et sa sœur jumelle. Le chant des oiseaux accompagnait agréablement leurs discussions futiles de femmes simples et bourgeoises.

Ploc ploc ploc

Des goutes rouges tombèrent sur les beaux biscuits posés en milieu de table. Les trois jeunes femmes levèrent les yeux, et virent du liquide rouge et épais passer à travers les planches du plafond. Douce détacha son regard de cet étrange phénomène, pour observer la réaction de sa mère, qui lui indiquerait si elle devait être inquiétée ou non. Sa mère était tranquille, sereine, malgré sa gorge ouverte et le sang qui en coulait de façon continue, elle continuait de regarder en l’air, songeuse.
- Ce doit être mon sang, dit-elle, votre père a sans doute oublié d’enlever mon corps de votre chambre. Prend donc un biscuit Douce, tu es si maigre.
Elle lui en tendit un dégoulinant de sang. Douce le prit, et l’examina longuement, avant de le mettre dans sa bouche.
- Est-il aussi bon que mon sang ? s’enquit Marie.
Douce leva les yeux vers elle. Tout comme sa mère, une fente dans la gorge de sa soeur faisait s’écouler de grande quantité de ce liquide fascinant. Soudain, la vision de Douce se troubla, son œil gauche se mit à voir rouge de façon de plus en plus opaque, puis noir. Elle porta sa main à son visage, puis la regarda. Elle saignait.
- Ta plaie s’est rouverte, fit sa mère compatissante.
L’œil droit de Douce regarda à nouveau la table, et elle remarqua qu’il n’y avait plus de biscuit, mais la dague ensanglantée à la place.
- Elle est là, dit Marie en suivant son regard. C’est pour ça qu’on saigne.
Douce tendit la main pour l’attraper, et elle la leva au niveau de son visage, afin de se voir dans le reflet de la lame. Elle n’était nulle part, son visage n’était pas le sien, mais celui de son père.
- As-tu vu un monstre ? demanda sa mère calmement.
- Non, dit Douce.
- Les reflets ne sont pas ce qu’ils paraissent. Regarde encore.
Douce obéit. Cette fois-ci, s’était bien son visage. Le côté gauche couvert de sang, et son œil droit brulait d’une lueur maléfique.
- As-tu vu un monstre ?
- Oui.
- Chéri-le. Il ne te reste plus que lui.
- Et vous ? demanda Douce.
- Cette dague nous a tuées. Nous sommes cette dague.
- Je vous garderai toujours prêt de mon cœur.
Douce planta lentement, douloureusement, la lame dans son ventre, et la fit passer sous ses côtes, jusqu’à son cœur, qui s’arrêta de battre.