La première fois est souvent maladroite

Oblivius

Munie de son baluchon, qu’elle tenait à la main et balançait d’avant en arrière tout en marchant, Douce arriva à Forbach après avoir voyagé trois jours à pied, en comptant les pauses. Sans doute aurait-elle du être inquiétée d’être une jeune femme, et de voyager ainsi seule. Sans doute oui. Même si elle était borgne, maigrichonne, et portait toujours les vêtements du couvent ou elle avait passé plus de dix ans. Il était toujours possible, pour un malfrat, d’y voir un quelconque intérêt, après tout elle restait une femme. De plus, sans que ce ne soit considérable, elle transportait une petite somme d’argent dans son baluchon, malgré son allure générale de pauvrette désespérée. Donc oui, elle aurait tout de même pu être inquiétée, si elle avait eut au moins la décence d’être normale. Mais non, non seulement elle ne connaissait plus la peur, en plus elle aurait accueillit son agression avec délectation. Enfin, tout dépendait de l’agression, se faire voler uniquement ses affaires auraient été vulgaire et sans intérêt, mais éventuellement se battre, se débattre et voir du sang couler, que ce soit le sien ou celui d’un autre, là c’était une autre affaire. Rien que d’y penser, elle avait sentit l’excitation monter.
Mais personne ne l’attaqua. De toute façon, en ces temps sombres et malsains, il n’y en avait que pour les sorcières. Quelle injustice.
Enfin, il y allait peut-être avoir enfin un peu d’action, à présent qu’elle se trouvait à Forbach. Mais avant de répondre à sa soif du carnage, elle devait déjà se remplir l’estomac. A force de ralentir la marche dans l’espoir de se faire attaquer, son voyage s’était allongé, ses provisions épuisées, et elle n’avait rien avalé depuis un jour. Elle n’avait pas vraiment le sens des priorités. Elle n’avait pas le sens de grand-chose en même temps.

Elle entra avec beaucoup de naturel dans l’auberge, comme si elle était une grande habituée des lieux, alors que c’était la toute première fois qu’elle mettait les pieds dans ce genre d’établissement. D’ailleurs elle ne savait même pas comment elle devait faire pour avoir à manger. Elle jeta un rapide coup d’œil à la salle, puis opta pour la solution de facilité.

- J’ai faim ! déclara-t-elle assez fort.

Elle était borgne, et se considérait donc hideuse. Même si une douce folie malsaine n’avait empoisonné son esprit, elle n’aurait rien gagné en adoptant l’attitude respectable d’une jeune femme normale. Elle ne pouvait plaire à personne, essayer aurait été une perte de temps inutile, surtout que ca ne l’intéressait pas. De plus, lorsqu’elle était au couvent, sa tendance à ignorer les bonnes manières lui avait souvent valu des coups de bâtons et autres tortures morales. Si les premières années, elle en avait souffert, une fois accoutumée elle en avait retiré beaucoup de plaisir. La violence restait la violence, que ce soit sur elle ou sur quelqu’un d’autre, cela restait fascinant et délicieux.
Et puis bon, elle était au bon endroit pour déclarer ce genre de chose haut et fort. Si elle avait été dans une chambre mortuaire, cela aurait fait un tout autre effet.
Cette plaisanterie intérieure la fit sourire.