Lorsque Béatrice avait pénétré dans la salle à manger, elle avait trouvé Vincent, déjà attablé. Elle l'avait salué poliment, le remerciant encore pour sa généreuse hospitalité avant de venir prendre place sur la chaise qu'elle avait utilisé la veille. Ils discutèrent d'un ton léger, de la pluie et du beau temps, et de ce que la jeune femme allait faire de sa journée. Alors qu'elle ouvrait la bouche pour répondre à Vincent, Elena fit son arrivée. Elle avait une petite mine, comme si elle avait mal dormi, mais tentait tant bien que mal de le cacher, sans doute par bienséance. La jeune noble demanda à son invitée si elle avait bien dormi, et Béatrice lui répondit en hochant la tête.

"Oui, je vous remercie. Je me suis cependant levée assez tôt, sans doute par habitude du couvent. J'ai pris la liberté d'aller explorer un peu plus avant votre bibliothèque, et j'y ai trouvé un ouvrage tout à fait divertissant..."

Avant qu'elle n'ait pu poursuivre, une autre personne fit son apparition. Luc... Elle ne sembla pas le moins du monde surprise de le voir, comme si elle était déjà au courant de sa présence. Encore fallait-il espérer que personne ne s'en rende compte... Car déjà, alors qu'Elena faisait les présentations, Luc décida semblait-il de jouer les parfaits inconnus. Après tout, c'était peut-être mieux ainsi... Elle sourit et se mit debout, saluant humblement le jeune homme.

"Enchantée de faire votre connaissance également."

Elle ne put s'empêcher de lui lancer un petit regard furtif, qu'elle espérait être passé inaperçu pour les autres convives, tout en se rasseillant.
Béatrice sourit plus largement lorsqu'il lança une petite pique en direction d'Elena. Oui, en effet, celle-ci ne l'avait pas mise au courant, mais qu'importe, elle avait fait sa connaissance bien assez tôt, et en de surprenantes circonstances, il fallait bien l'avouer.
Alors qu'elle posait son regard sur les différents mets posés sur la table, un domestique lui demanda ce qu'elle souhaitait boire. Elle opta pour un thé et décida de se faire une tartine de pain beurré tout en s'adressant à son hôtesse.

"Elena, quand pourrions-nous nous rendre en ville ? Si cela ne vous ennuie pas, j'aimerais pouvoir rencontrer votre couturière au plus vite... J'ai mille et une choses à faire aujourd'hui..."

C'était vrai. Elle devait passer chez la couturière, puis se rendre à la Collégiale pour voir ce qu'elle pourrait bien faire pour se rendre utile... Tout en préparant sa vengeance envers Louisa. Beaucoup de choses, et si peu de temps... Si seulement les journées pouvaient durer quarante-huit heures...
Elle mordit joyeusement dans sa tartine tout en écoutant Elena lui répondre. Elle n'avait plus regardé Luc, ne voulant pas que les deux autres découvrent qu'ils s'étaient déjà rencontrés. C'était bien mieux ainsi, et elle le savait.

Sœur Béatrice indiqua que son repos avait été délicieux, mais écourté par les habitudes du couvent. Du coup, cette dernière en avait profiter pour se rendre dans le havre de connaissance qui résidait deux étages plus haut. Elle s'était trouvé un ouvrage à sa convenance et cette nouvelle ravit Elena qui sortait de sa torpeur lentement.

Luc pénétra ensuite dans la salle à manger et Elena fit les présentations. L'apprenti en profita pour lancer une remarque à Elena, mais son humeur n'était pas à rire. Elle ne releva même pas, arqua simplement un sourcil. Aucun sourire ne vint se peindre alors qu'autre contraire la tablée souriait largement. Pourtant cela tenait également du compliment, mais l'esprit d'Elena était occupé à autre chose. Elle était à la limite de l'impolitesse et n'écoutait pas réellement ce qui se tramait autour de la table. Dans son crâne retentissait un cri de douleur, une déchirure qui lui frappait le cœur. Elle mangea très peu. Absorbée par ses pensées elle ne vit pas le regard que la none lançait à fils du Duc. Par ailleurs Vincent remarqua peut-être l'un d'entre eux mais fut incapable de l'interpréter.

Alors qu'Elena semblait perdu ailleurs, son frère lui donna un coup de pied en diagonale, sans toucher les deux invités. Elle manqua de sursauter et de bondir sur sa chaise. C'est alors que Sœur Béatrice la questionna sur l'heure à laquelle elles partiraient en ville pour allez voir la couturière. Elle avait beaucoup de choses à faire ajoutait-elle. La noble répondit, se forçant à rester concentrer sur le monde qui l'entourait.

"A dire vrai je comptais vous emmenez une fois le repas terminé. Nous prendrons des chevaux pour nous y rendre plus rapidement. Une fois là bas je vous laisserai vaquer à vos occupations pour rejoindre les miennes."

Elle fit une petit pause, le cri retentit à nouveau dans son crâne, elle ressentit plus vivement encore le coup qu'elle recevait à la poitrine.

"Cela vous convient-il?"

Elle n'en ajouta pas plus, elle n'était pas dans son assiette et tout le monde l'avait sûrement vu, mais ce n'était pas important, elle sauverait les apparences en mettant cela sur le compte unique de la fatigue, oubliant la terreur qui secouait ses entrailles. Le repas s'acheva sans plus de paroles. Elena rejoignit sa chambre et finit de se préparer. De même pour la religieuse. Elles se rejoignirent dans le hall et allèrent par le parc dans l'écurie. Elle fit apprêter deux chevaux et grimpa sur l'un d'entre eux, en l'occurrence le sien. Une robe brune s'accordant à la robe bordeau de la jeune femme, une crinière noir et un poil soyeux. La bête était magnifique. Aussi magnifique que celle qu'elle donna à la none.

"Vous savez montez à cheval, rassurez-moi?"

Cela ne l'avait même pas frôlée plus tôt. Mais en tant que noble, Sœur Béatrice avait sûrement pu apprendre.

[je coupe un peu court mais bon on va pas y passer trois ans ]

Si Béatrice avait connu les pensées de Luc pendant le petit déjeuner, elle aurait très certainement été gênée... Ou bien au contraire tout à fait flattée d'avoir su titiller l'esprit de ce beau jeune homme de bonne famille, qui hélas lui restait inaccessible pour des raisons plus qu'évidentes. Ce qui s'était passé entre eux dans la bibliothèque, ce matin là... C'était cette chute qui avait tout déclenché, tant chez lui que chez elle. Tandis que lui nourrissait des pensées impossibles, inconvenantes même, de son côté Béatrice n'en menait pas large non plus. Elle avait été bien plus troublée qu'elle ne le laissait voir. Et si elle ne s'était pas relevée, à cet instant où leurs corps étaient si étroitement serrés l'un contre l'autre ? Et s'il avait passé sa main dans les cheveux de la demoiselle, s'il l'avait embrassée ? Non. Elle chassa bien vite cette idée alors que son visage commençait à s'empourprer. Elle reporta son attention sur Elena, qui lui répondait alors qu'elles iraient en ville dès la fin du petit déjeuner. Ouf ! Au moins, elle serait éloignée assez longtemps de Luc pour ne plus penser à lui.

"C'est parfait, Elena. Je vous remercie encore pour votre gentillesse. Le Seigneur vous le rendra."

Tout était dit. Le petit déjeuner se passa dans la bonne humeur, Luc la questionnant sur ses loisirs, comme si la discussion du petit matin n'avait été qu'un rêve. Elle comprenait qu'il ne voulait pas éveiller les soupçons, aussi lui répondit-elle posément, avec les mêmes mots que plus tôt dans la matinée.

Après le petit déjeuner, Elena emmena Béatrice aux écuries, où deux chevaux les attendaient. La noble demanda à la religieuse si celle-ci savait monter à cheval, question à laquelle Béatrice répondit par l'affirmative.

"Oui, ça ne s'oublie pas."

Elle sourit et grimpa avec aisance sur sa monture, un superbe étalon gris clair dont la robe était parsemée de taches plus sombres. Une fois installée sur sa monture, elle indiqua à sa nouvelle amie qu'elles pouvaient y aller...

Et hop, direction le centre ville...