Le Plan du Comte

Mort(e)

[ H.J.d.R : Ce sujet a une valeur informative plus que d'être un exécutoire de jeu pour leurs joueurs. Il se déroule légèrement avant les évènements en cours, pour que certains puissent discerner l'intégralité des ficelles qui viendront animer tout cela. ]

Assis derrière son bureau, la tête posé contre le dossier de son fauteuil, Lorenzo semblait réfléchir. Il avait congédié son assistant et avait exigé de n'être dérangé sous aucun prétexte. Quelque chose ne tournait pas rond avec l'Oracle, il en était convaincu – peut-être le seul à y croire – mais comment le faire comprendre aux pauvres imbéciles qu'elle s'était mis dans la poche ? Elle finirait par se trahir, c'était évident, mais Lorenzo n'était pas décidé à attendre la catastrophe à venir, il lui fallait agir au plus vite, la prendre de vitesse et surtout trouver un moyen de la détruire. Bien entendu, s'en prendre à la jeune Alexandrine aurait été facile : il existe de nombreux moyens de tuer un homme, fusse-t-il une femme, ou un enfant, mais cela ne convenait pas, c'était trop risqué. L'Oracle ne comptait pas beaucoup d'ennemis et à défaut de l'accuser, on le soupçonnerait bien rapidement. Non il devait trouver un moyen mais dans l'état actuel des choses, il devait bien l'admettre, il n'avait rien trouvé depuis des heures, à croire qu'aucune idée ne lui venait. En réalité, il y en avait des dizaines, mais chacune était rejetée plus tôt que la précédente car elle ne convenait vraiment pas. Presque frustré de ne pas trouver une solution, il se leva rapidement et posa son regard sur l'extérieur, au travers de la fenêtre de son bureau. Au dehors, quelques serviteurs s'évertuaient à entretenir les jardins – charmants au demeurant – tandis que certains nobles s'y baladaient, quelques enfants jouaient mais l'activité restait relativement faible.

Lorenzo observa ce spectacle pendant quelques minutes, son esprit ailleurs, ne parvenant toujours pas à trouver le plan infaillible, celui qui lui permettrait de prendre l'ascendant sur l'Oracle voir même de s'en débarrasser... Toutefois une image lui mettait du baume au cœur et continuait à lui faire croire à l'existence d'une telle solution : cette perle de sang luisant sur sa lèvre alors qu'elle se relevait du revers qu'il lui avait administré. Elle était diminuée par son enveloppe mortelle, la présence de ses gardes en était la preuve évidente, mais le sang l'était encore plus. Le talon d'Achille de cette créature était donc là, son hôte, car aussi puissante fut-elle, si l'hôte était détruit, avec elle à l'intérieur, elle mourrait également. Mais là était tout le problème, comment l'attraper ? Sans cesse protégée, sans cesse adulée... Personne ne permettrait ne serait-ce même qu'on pose une main sur son épaule pour l'arrêter. Il lui fallait un moment propice, mais comment trouver un tel moment ? Avait-il seulement le temps pour attendre ainsi que le « bon » moment ne se présente de lui-même ? Devait-il le provoquer pour ne pas attendre davantage et ainsi risquer de dépasser un éventuel point de non-retour ?

La réflexion était intense, et le pire était de devoir faire face à l'ensemble des solutions qui s'offraient à lui. La plus évidente consistait à attendre, attendre que l'Oracle fasse son coup, attendre qu'elle se discrédite d'elle-même face à ses admirateurs et se croie invulnérable pour intervenir, mais ce moment arriverait-il avant qu'elle ne devienne trop puissante ? Ça il n'aurait su le dire, mais à agir trop vite, il risquerait de perdre une bonne partie de l'opinion publique, alors que l'idée de faire de lui un héros terrassant le Mal Absolu déguisé sous les traits d'une fillette, elle, était très intéressante et lui offrait une perspective d'avenir plus qu'alléchante. Mais cette solution était risquée, d'autant que l'Oracle risquait de ne se découvrir qu'au dernier instant et qu'il allait surement falloir agir vite. Il n'aurait pas le droit à l'erreur, c'est certain, mais après tout, avait-il déjà commis une erreur ? Il savait qu'il prendrait l'Oracle en défaut le moment venu, fusse-t-il pour cela qu'il utilise la pleine mesure de son potentiel, même la plus puissante des créatures finit par tomber sous le nombre.

Toutefois il y avait également une autre question en suspens, et celle-là, serait peut-être plus complexe à résoudre... Pourtant... Il y avait peut-être une opportunité, risquée elle aussi, voir peut-être même improbable, mais s'il capturait l'Oracle, s'il avait raison à son sujet, et s'il parvenait à convaincre son Père... Oui... Ça pouvait fonctionner ! Il se retourna rapidement, contournant son bureau à grand pas avant d'ouvrir la porte et de se tourner vers l'un des gardes en faction :

« - Allez me chercher le Vicomte d'Hasbauer, dite lui que c'est une affaire urgente et que je ne souffrirai aucun refus. Ramenez-le de force s'il le faut. »

Le garde, accoutumé aux demandes de Lorenzo acquiesça rapidement de la tête avant de partir en quête du Vicomte. Il était issu de ceux que le Comte de Nicosie avait ramenés avec lui, une sorte de garde personnelle, bien au fait de la manière dont il traitait ceux qui ne faisaient pas ce qu'il demandait. De son côté, Lorenzo s'adressa à l'autre garde :

« - Lorsqu'il reviendra avec le Vicomte, assure-toi que personne ne vienne nous déranger ou ne vienne jouer l'importun. Je ne suis là pour personne, invente ce que tu voudras, nous en reparlerons après. »

L'autre garde acquiesça en silence et Lorenzo retourna dans son bureau, fermant la porte avec un léger sourire sur le visage.

Mort(e)

Adrien était dans ses appartements face à la grande fenêtre et regarder passer le temps. Depuis qu’il avait abandonné l’administration du Comté de Forbach, il avait une quantité de temps phénoménale pour faire ce qu’il avait toujours négligé de part le passé : la vie de famille. Il jouait avec son fils Léonce passant plus de temps avec lui qu’il n’en avait jamais passé. Il était également présent pour sa femme, partageant enfin de véritables nuits avec elle, et non quelques heures volées à un travail s’amoncelant toujours plus. La seul ombre au tableau était Alexandrine. Il aurait aussi voulu pouvoir jouer avec elle maintenant qu’il en avait le temps, mais le sort en avait décidé autrement. Sa disparition avait déjà porté un coup dur au moral du Vicomte, mais sa réapparition contrôlée par l’esprit de l’Oracle ne l’avait pas réjoui autant qu’il l’espérait. Bien entendu il était heureux que sa fille soit en vie, et c’était pour autant presque l’essentiel, mais la voir ainsi en pantin d’une créature dont il ne connaissait rien ne lui disait rien qui vaille. La discussion qui s’en était suivie entre elle et lui n’avait en rien arrangé les choses, et une seule solution apparaissait à l’horizon : attendre que l’Oracle ait fini sa tâche, reparte et ne libère Alexandrine de son joug. Si cette créature comptait bien partir un jour… Et comme seule assurance il n’avait que sa parole. Une parole qui valait tout si elle était bien ce qu’elle était, mais qui ne valait plus rien si elle faisait double-jeu depuis le début.

Tout le monde aimait l’Oracle, ou presque. Mais d’aucuns n’avaient du sacrifier leur fille pour qu’elle puisse évoluer librement en ce monde. Il était bien plus facile pour eux d’être aux anges après les miracles qu’elle avait pu produire, mais pour Adrien… Son esprit était mitigé, balancé, presque broyé entre la confiance et la méfiance. Par cette raison, il n’avait pas réussi à vraiment aimer l’Oracle. Il appréciait bien sûr ce qu’elle avait fait pour Forbach, mais sa peur pour sa fille lui faisait trop souvent entrevoir le risque de la perdre si cette créature n’était pas tant envoyée par Dieu qu’elle aimait le prétendre. Il y avait un peu trop de mystère autour de l’Oracle au goût d’Adrien, malgré tout ce qu’elle avait pu dire ou faire. Voilà pourquoi il ne s’était pas vraiment décidé à l’aimer ou s’en méfier. Mais un jour il savait, que la vérité éclaterait.

On frappa trois coups à la porte. Adrien se retourna, sorti de ses réflexions diverses, et posa un regard bienveillant sur sa femme et son fils, qui dormaient paisiblement. Il alla vers la porte, l’ouvrant en silence et découvrit le soldat qui avait été envoyé par le Comte pour le chercher. D’un geste, il lui intima le silence avant de passer la porte et de la refermer derrière lui.

« - Je vous prie de m’excuser, mais je ne veux pas déranger la quiétude du sommeil de ma femme et de mon fils. Que puis-je pour vous, Soldat ? »

Le–dit soldat, d’abord surpris de s’être fait stoppé en plein élan par le Vicomte sembla comprendre les raisons et esquissa un frêle sourire avant de reprendre son sérieux et sa droite, puis répondit :

« - C’est à moi alors qu’il convient de m’excuser Vicomte d’Hasbauer, mais le Comte de Forbach requiert votre présence de toute urgence. Il ne souffrira aucun refus, soyez assuré que je vous mènerai à lui, de votre plein grès ou non. »

Le Vicomte sourit à cette éventualité… Lorenzo n’était effectivement pas trop connu pour son obligeance envers ceux qu’il désirait voir. Qu’est-ce qui pouvait bien susciter l’urgence chez le Comte ? Lui d’ordinaire si pragmatique et si sûr de lui… Qu’est-ce qui pouvait le pousser à agir rapidement ? Une erreur d’appréciation ? Non… Ça ne pouvait pas être cela. Mais à bien y réfléchir, il ne le saurait qu’en suivant ce garde, et quitte à le faire, autant le faire de manière douce.

« - Je vous suis. Je n’ai rien à refuser au Comte. »

Ce qui était bien entendu faux, mais il n’était rien de mieux que les faux-semblants, même s’il doutait vraiment pouvoir effectivement refuser quelque chose à Lorenzo sur le long terme. Cet homme semblait prévoyant et calculateur, mais aussi assez charismatique ou persuasif pour acquérir tout ce dont il avait besoin, d’une manière ou d’une autre. Cette idée était relativement inquiétante, mais finalement, c’est peut-être cela qui prévalait le mieux, plus de poigne pour un peu moins de discours. Enfin, comme pour l’Oracle, Adrien n’avait ni de la confiance, ni de la méfiance pour le Comte, dont beaucoup savait qu’il n’appréciait pas l’Oracle. C’était son seul ennemi déclaré, le seul qui avait décidé de ne pas la soutenir ouvertement. Beaucoup ne comprenaient pas la réaction de l’arriviste mais Adrien savait que Lorenzo ne faisait rien à la légère et peut-être savait-il des choses que d’autres ne savaient pas…

Ils arrivèrent devant le bureau qui fut autrefois celui du Vicomte et le garde ouvrit la porte pour le laisser entrer. A peine avait-il passé l’ouverture de la porte que celle-ci se referma doucement derrière lui. Le bureau était bien éclairé et le Comte se trouvait dos à lui, le regard tourné vers la fenêtre et l’extérieur.

Mort(e)

Debout devant sa fenêtre repassait dans sa mémoire les moindres détails du plan qui avait germé dans son esprit. Tout demandait un chef-d’œuvre de précision et surtout ne permettait aucune erreur. Même la première étape demandait un pari risqué, celui que l’Oracle tenterait quelque chose qui dévoilerait enfin sa véritable nature à tout le monde. C’était une hypothèse risquée, car pour cela il fallait qu’elle se sente intouchable, et pour cela il lui faudrait rester en retrait, patient, attendant l’heure où la messe serait dite. Mais la première étape n’était qu’un prélude à une série d’évènements qui ne souffriraient aucun manquement. Et l’un d’entre eux demandait le concours d’une autre personne, et pour cela, qui de mieux que la personne la plus concernée par la survie de l’hôte de l’Oracle : Adrien d’Hasbauer. Voilà pourquoi il l’avait fait demander, il devait s’entretenir avec lui, jouer sur les bonnes cordes sensibles et s’assurer que le Vicomte serait un allié de taille, prêt à tout pour sauver sa fille.

Adrien ne tarda d’ailleurs pas à entrer dans son bureau. Se tournant vers cet être qui fut autrefois si charismatique, le Comte ne tarda pas à prendre la parole. Il n’y avait guère de temps pour les fanfaronnades ou autres politesses, il devait s’assurer le soutien du Vicomte le plus vite possible.

« - Vicomte, je suis ravi de voir que vous êtes venu ici de votre plein gré. Je ne sais pas ce que vous a dit le garde, mais l’affaire pour laquelle je vous ai appelé est urgente, peut-être même d’ordre vitale pour la plupart d’entre-nous et pour le peuple de Forbach. »

Il marqua un instant de silence, pour bien marquer l’enjeu. Il était convaincu que cela interpellerait Adrien déjà plus profondément.

« - Je n’irai pas par quatre chemins. L’Oracle est au cœur de mes préoccupations actuelles. Si tout le monde voit en elle un sauveur, je ne vois qu’une créature venue ici pour accomplir je-ne-sais quel sombre but et qui fanfaronne (non sans forfanterie quelques fieffés forfaits farfelus effrontés) sous ma fenêtre fomentant son plan machiavélique. »

Il se tourna vers la bibliothèque, parcourant d’une main la tranche de plusieurs livres.

« - Je dois être le seul à penser cela en cet instant, mais une créature qui s’empare du corps d’une petite fille pour accomplir ses desseins ne peut pas être uniquement mue de bonnes intentions. Il viendra un jour où le voile tombera et tous comprendront quelle était sa vraie nature. Je suis bien décidé à attendre dans l’ombre et de prendre les choses en mains quand ce jour arrivera, mais je sais que vous tenez à votre fille aussi ais-je une proposition à vous faire. »

Lorenzo laissa le silence se poser entre eux deux. Assez pour que le Vicomte puisse appréhender la portée des phrases qu’il venait de prononcer, et donc assez pour comprendre que la vie d’Alexandrine allait être en jeu.

« - Les rapports de mes hommes sont formels et j’en ai moi-même fait l’expérience, le pouvoir de cet être passe par le regard. Elle peut déceler la moindre parcelle de votre passé en y plongeant les yeux. Je pense également que cette créature cache d’autres pouvoirs mais là ce ne sont que des suppositions. Elles ne sont pas irréalistes, car je pense qu’elle cache très bien son jeu, mais il va falloir être prudent. Enfin cela ne vous concerne pas vraiment. Ce que je voulais vous dire c’est que si l’Oracle s’avère être une créature de l’engeance du démon, il y a une possibilité pour que nous puissions sauver votre fille. »

Il plongea son regard dans celui du Vicomte.

« - Mais elle exigera un sacrifice de taille. »

Mort(e)

Adrien s’attendait à apprendre pourquoi il avait été requis par le Comte mais il ne s’attendait pas à ce que ce dernier soit si direct. Qui plus est, ses mots étaient très bien choisis et avaient réussi à instiller de la curiosité mais aussi de la peur sur le sujet que voulait aborder Lorenzo. Le Vicomte n’était jamais à l’aise quand un danger planait sur la ville que ce soit sur ses proches, ou sur la population. Tout le monde savait qu’il était très proche des gens et faisait tout pour qu’ils se sentent bien. Ce n’était pas vraiment dans les mœurs de Lorenzo de se soucier du peuple, mais il l’avait souligné pour qu’Adrien se sente concerné, et cela avait fonctionné. Il attendit patiemment que le Comte expose sa théorie et lui montre ce qui pouvait bien être la cause de cette menace létale. Bien entendu, comme il aurait pu s’y attendre, l’Oracle était au cœur de la discussion. Le mystère qui était lié à elle donnait lieu à de nombreuses controverses et la duplicité était une hypothèse à envisager, une hypothèse qui était une réalité pour le Comte. Adrien n’avait jamais vraiment pu trancher, ne s’accordant le droit à un jugement que lorsqu’il aurait des preuves certifiant le fait qu’elle disait la vérité, ou qu’elle mentait.

Il était clair que Lorenzo ne la portait pas dans son cœur. Avait-il raison ? Nul n’aurait pu le dire, même si la plupart des gens pensaient – peut-être à tort – qu’il était simplement jaloux de l’influence qu’elle pouvait avoir. Il est vrai qu’il devait y avoir un peu de vrai, mais si le Comte avait réellement percé à jour la nature démoniaque de l’Oracle, n’était-il pas alors le seul en mesure de l’arrêter ? Comme toujours il était difficile de différencier le bien du mal car le monde n’était ni blanc ni noir, mais tout en nuances de gris. Certains plus clairs, d’autres plus sombres. La différence tellement infime est indiscernable à l’œil non averti, faussant ainsi les pistes et facilitant les erreurs de camp. On croit alors œuvrer pour le bien alors qu’on travaille pour la créature la plus vile que l’on n’ait jamais croisée. Mais il faudrait bien un jour faire un choix, et seulement deux camps se profilaient à l’horizon, celui de l’Oracle ou de Lorenzo. Rester neutre était une possibilité mais elle n’était pas envisageable, pas alors que la vie sa fille était en jeu.

Et ça, Lorenzo le savait bien. Et s’il avait fait appeler Adrien ce n’était pas parce qu’il était l’ancien administrateur de Forbach, mais bel et bien parce qu’il était le père de l’hôte actuel de l’Oracle. Par là-même il était fortement concerné par cette affaire, d’autant plus qu’il était de nature publique que le Vicomte d’Hasbauer tenait énormément à ses enfants, et plus généralement à sa famille. Ainsi Adrien l’écouta parler de l’Oracle, de ses présomptions ainsi que de ce qu’il avait découvert sur les pouvoirs de cette dernière. Il était vrai que ses pouvoirs semblaient immenses et qu’elle n’en avait démontré jusque là qu’une infime partie. Que pouvait-elle bien cacher ? Cachait-elle seulement quelque chose ? N’était-elle pas qu’une simple créature de Dieu étant venue aider les Sorcières en ces jours sombres ? Adrien n’était sûr de rien, autant de sa sincérité que de sa duplicité. Pouvait-il vraiment mettre en doute les paroles de celle qui avait prit possession de sa fille ? Devait-il croire le nouveau dirigeant de Forbach, parvenu à ses fins surement par quelques tribulations politiques ? Les deux camps avaient leur défaut, mais un seul prônait la vérité. Lequel avait la nuance de gris le plus proche de la lumière ? Il n’en savait rien, mais la perspective de pouvoir sauver sa fille prédominait par-dessus tout, quoiqu’il lui en coute.

« - Je vous écoute. »

Mort(e)

Tout se déroulait comme prévu, la réaction si prévisible du Vicomte était au rendez-vous et nul doute qu’il accepterait la proposition que lui ferait Lorenzo. Mais au-delà de la manipulation, le Comte avait réellement besoin d’Adrien. Autant sur le plan politique, pour montrer à tous le monde que Maestriani n’était peut-être pas si mauvais qu’il en donnait l’air, que sur le plan pratique car le Vicomte était un allié de choix autant par son influence que dans ses possibles aides au niveau manuel. Il lui fallait acquérir son soutien, c’était presque une nécessité. Il se tourna vers son bureau et s’adossa sur le rebord avant de reprendre, usant de ses mains pour donner une contenance encore plus dramatique à ses paroles.

« - Autant vous le dire tout de suite, c’est un lourd tribut qu’il vous faudra payer je le crains Vicomte, et vous m’en voyez navré, mais pour sauver la vie de votre fille il faudra donner la votre. »

Rien de moins que cela, mais pour chaque chose il fallait la juste contrepartie, et pour sauver la vie de quelqu’un la seule contrepartie possible était souvent une autre vie.

« - C’est un choix qui seul vous incombe, et je ne peux pas vous donner plus de détails à l’heure actuelle. Tout est au stade de supposition, et, j’aimerai avoir tort sur la nature de l’Oracle, mais je doute sur la sincérité de ses paroles et je crains pour la survie de votre fille si cette créature devait arriver à ses fins. C’est pourquoi, si elle devait lever le voile sur ses véritables intentions et que ces dernières se révèlent être loin des objectifs de Dieu le Créateur, je mettrai tout en œuvre pour la stopper. Soyez toutefois assuré que je ferai tout pour préserver votre fille durant l’arrestation. »

Il marqua une brève pause puis reprit :

« - Étant donné la situation, je ne peux pas me permettre le risque que l’Oracle puisse découvrir cette discussion en plongeant son regard dans le votre. Sachez juste que, pour sauver votre fille, il faudra faire ce que je vous dirai le moment venu. Pardonnez ce mystère autour de ma manière de procéder, mais je n’ai pas le choix si je veux conserver un semblant d’avantage. »

Non pas que le Comte n’avait pas confiance en Adrien, mais on ne pouvait jamais vraiment savoir ce qu’il pouvait se passer et Lorenzo voulait mettre toutes les chances de son côté. Qui plus est, il pensait ne pas avoir besoin de détailler son plan pour avoir besoin de l’approbation du Vicomte. L’idée même de pouvoir sauver sa fille dans tous les cas de figure suffirait surement à lui faire accepter cet accord. Sinon, il y avait toujours quelques moyens plus persuasifs…

Mort(e)

Adrien devait l’admettre, le Comte était vraiment très direct. A vrai dire, il comprenait parfaitement qu’il n’y avait pas la place dans cette discussion pour tourner autour du pot ou simplement pour ménager son interlocuteur. L’enjeu pouvait être important et il fallait avoir des réponses claires et précises, d’où la raison d’être clair et précis : on ne peut donner une réponse satisfaisante qu’à la condition que la question soit bien posée et surtout sans équivoque. Lorenzo demandait au Vicomte une obéissance sans faille le moment venu, du moins si l’Oracle se révélait être une créature malfaisante. Car dans ce cas seulement, l’intégrité de sa fille était compromise puisque si l’Oracle était ce qu’elle prétendait, elle quitterait – comme elle le lui avait promis – le corps d’Alexandrine aussitôt après avoir accompli sa mission. Dans le cas contraire, néanmoins, il n’y avait aucune assurance qu’elle libère la petite fille, même après avoir accompli un éventuel noir dessein. Adrien comprenait parfaitement l’assurance que lui proposait le Comte, ainsi que tous les tenants que cela impliquait, et notamment sa mort le cas échéant.

Mais rien n’était encore fixée, la nature de l’Oracle était encore à déterminer et rien ne nous disait que le Comte se trompait sur toute la ligne. Au fond c’était la situation la plus enviable, en effet, il valait mieux que l’être surnaturel – l’Oracle ici en l’occurrence – soit du côté du « Bien » plutôt que le contraire. Tout le monde savait qu’il était bien plus facile de lutter contre l’Humain que contre le Surhumain. L’engagement que proposait le Comte permettait à sa fille de s’en sortir quelque soit le cas de figure, et, finalement, c’était ce qui importait le plus. Adrien, lui, avait déjà eu une vie bien remplie. C’était un mari et un père de famille comblé, un homme accompli par bien des égards. Il avait déjà bien vécu mais sa fille, elle, entrait à peine dans la fleur de l’âge et elle avait tant de choses à découvrir… L’idée même qu’il y ait une chance pour qu’elle ne puisse ne pas vivre pleinement sa vie le révulsait, sans parler de ces cauchemars où il enterrait sa propre fille. Les parents ne devraient jamais avoir à enterrer leurs enfants, voilà pourquoi il donnerait sa vie pour sa fille si c’était nécessaire, parce que la vie de sa fille ne demandait qu’à éclore lorsque la sienne commençait déjà à faner.

« - Vous vous basez sur vos conclusions. Nous sommes d’accord que tout ceci n’est qu’hypothèses, basées sur le fait que l’Oracle nous dupe et soit en réalité une sombre créature. Nous nous accordons à penser que ce dont vous parler n’aura effet que si cette hypothèse est vérifiée par un quelconque acte de l’Oracle, et que, tant qu’il n’y aura pas de preuves formelles de ses éventuels sinistres desseins vous ne ferez rien contre elle, et qu’il ne sera donc pas nécessaire que je vous aide pour sauver ma fille. »

Le Comte de Nicosie acquiesça de la tête aux propos d’Adrien.

« - Donc si l’Oracle venait à fournir une preuve concernant sa duplicité, je m’engage à vous fournir l’aide dont vous avez besoin en contrepartie de l’assurance de faire tout ce qu’il est en votre pouvoir pour sauver la vie de ma fille, quitte à y risquer la mienne par la même occasion. »

Encore une fois Lorenzo fit un hochement de tête approbateur, rajoutant au passage que seule une preuve évidente de trahison suffirait à lever le doute et à convaincre les gens de la nature viciée de l’Oracle, et que, par conséquent, il avouerait ses torts et abandonnerait sa quête si cela ne devait jamais arriver.

« - Dans ce cas, j’accepte. »

Adrien était déterminé. Pour sauver sa fille quelque soit le résultat qu’apporterait le futur, il aurait fait n’importe quoi. Bien entendu le Comte lui rappela de garder le silence sur cette affaire et d’éviter le regard de sa fille aussi souvent que possible. Le Vicomte hocha la tête en signe de compréhension puis sortit du bureau. La suite des évènements scellerait-elle la vie d’Adrien ?