Visite surprise... Ou pas. [Chez Owen]

Prêtresse

Voilà maintenant plus de deux semaines qu'Inès s'était faite agresser par l'Agent du Diable. Son amie Europe l'avait hébergée et soignée, si bien qu'il ne restait du passage du monstre que les plus grosses séquelles : le bras cassé qui se remettait petit à petit, les scarifications sur sa poitrine qui commençaient à cicatriser, mais surtout les blessures morales. Heureusement, la jeune femme était forte, et elle s'en sortait assez bien. Maintenant qu'elle allait mieux, elle pouvait rendre visite à celui qui lui avait sauvé la vie, ce matin-là, sur les berges de l'étang.
Europe avait proposé de lui prêter un fiacre, mais elle avait refusé. Elle se souvenait des recommandations de l'Enquêteur : rester discrète et ne pas se faire suivre. Aussi, ce fut enveloppée d'une longue cape noire - cadeau de son amie Europe - qu'elle se rendit chez lui.

Elle avait attendu qu'il fasse nuit. D'une parce qu'ainsi il y aurait plus de chances qu'il soit déjà chez lui, et de deux parce qu'il lui serait plus aisé de se fondre parmi les ombres pour ne pas être repérée.
Ce fut donc dans la nuit la plus totale qu'elle prit la route pour la maison d'Owen Mansholther.
Elle fit le voyage sans encombre. La ville était plus déserte que le Sahara ce soir-là. Il fallait avouer qu'en cette froide nuit d'hiver, les gens n'osaient guère quitter le confort de leur foyer...

Elle reconnut sans problème la maison de l'Enquêteur, bien qu'elle n'y soit venue qu'une fois. Elle avait le sens de l'observation, c'était de famille...
Une fois devant la porte, elle frappa quelques coups discrets. Inutile de sortir les tambours, il n'y avait rien d'étrange à sa venue, Owen avait été prévenu par courrier de son arrivée...

Enquêteur Royal

Il avait effectivement récupéré la lettre que la jeune femme lui avait adressé quelques jours après avoir reçu la sienne. Il était d’ailleurs passé deux jours plus tard pour rien, la dénommée Inès n’ayant apparemment pas eu le temps de lui répondre. Néanmoins, il ne s’en était pas formalisé. Après tout elle devait avant tout se reposer et même si répondre au courrier n’avait surement rien de bien fatiguant, il y avait somme toute mille choses à faire de plus importantes que de répondre à une lettre d’un Enquêteur. Dans cette dernière lettre, car vu son contenu il n’avait pas vu d’intérêt à répondre, elle lui avait dit qu’elle viendrait le voir dans les jours qui suivaient pour lui parler de ce dont ils avaient essayé de parler à chaud la dernière fois, en vain : l’agression qu’elle avait subite de l’Agent du Diable. Owen avait été surpris d’une telle résolution mais ce n’était pas plus mal, ainsi il n’aurait pas à l’enjoindre à revenir sur ses évènements de lui-même. Il était plus facile d’obtenir des informations d’une personne qui venait vous les délivrer que d’une personne à qui vous tentez de les extorquer. Néanmoins, devant l’imprécision temporelle de la missive, il resta un instant perplexe. Il se souvint néanmoins des quelques mots qu’il avait prononcé pour la jeune femme, lui conseillant de venir le rejoindre de nuit, là où elle ne pourrait être suivie et où elle pourrait filer en silence dans les ruelles de la ville. Toutefois, cela ne changeait pas grand-chose à son emploi du temps quotidien : après une tournée en ville ou dans les environs en quête d’indices ou de témoignages, il rentrait ensuite et s’installer à son bureau à la lueur d’une bougie.

C’est dans le même état d’esprit que s’était déroulée cette journée. Owen avait eu deux « rendez-vous » avec des habitants de la ville pour quelques renseignements qui n’avaient pas eu beaucoup d’importances mais, hélas, c’était le quotidien de son enquête. Il devait néanmoins admettre que l’étau se resserrait quelque peu autour du meurtrier aux tendances particulières. Il avançait, c’était évident, et il ne lui manquait que quelques liens, les plus importants certes, ceux qui animaient l’ensemble des indices dont il disposait, mais il possédait déjà une bonne partie des pièces du puzzle, ne restait plus qu’à savoir comment les imbriquer. La lettre d’Alicia Maestriani avait été surprenante elle aussi. D’abord parce qu’elle lui avait avoué être une « sorcière ». Owen n’étant pas spécialement croyant de ses choses irrationnelles, il n’avait porté que peu de crédit à cette information. Après tout, les gens se croyaient surement plus sorciers/sorcières qu’ils ne l’étaient et se contentaient de jouer avec leurs mains et des recettes culinaires douteuses pour affirmer leur « pouvoir ». Néanmoins, si les sorcières n’existaient pas, les gens qui se prenaient pour tels existaient bel et bien, aussi l’histoire de rituel ne sembla pas farfelu, et, au contraire, bien plus qu’intéressante. Un ou une ahurie désirait-il essayer d’accomplir un quelconque rituel ancien qu’il avait lu quelque part pour réveiller un antique démon ? Qui pouvait encore croire à de telles choses ? Owen en eu un léger sourire.

Il était assis à son bureau, feuilletant son petit carnet à la découverte des éléments qu’il avait noté, dessinant sur des pages, en annotant d’autres. Il était totalement absorbé lorsqu’il entendit le bruit sourd qui provenait de la porte. Ainsi c’est ce soir qu’elle avait décidé de venir. Il se leva en silence et descendit avant d’ouvrir la porte, une bougie déposée à proximité de l’entrée laissait échapper de la lumière à travers le cadran éclairant ainsi sa nouvelle invitée. Sans un mot, il la laissa entrer, jetant un regard derrière elle avant de fermer la porte. Il l’aida à se débarrasser de son manteau et prit enfin la parole :

« - Bonsoir Mademoiselle Gallois, je suis heureux de voir que vous allez beaucoup mieux que la dernière fois où j’ai pu vous voir. Si vous voulez bien me suivre ? »

Il la précéda pour monter à l’étage dans la chambre qu’elle connaissait déjà. Il lui indiqua le lit, bien plus confortable que les autres sièges, et tira la chaise du bureau face à la jeune femme avant de lui demander :

« - Je n’ai pas grand-chose à vous offrir, mais peut-être désirez vous quelque chose à boire ? Je peux vous proposer de l’eau ou un peu de vin, je n’ai hélas rien de mieux. »

Prêtresse

Ainsi qu'elle l'avait pensé, l'Enquêteur l'attendait chez lui. Il ouvrit la porte peu après qu'elle ait toqué pour annoncer sa présence. Il l'aida galamment à se défaire de son manteau - geste auquel la jeune femme n'était guère habituée, venant de la campagne - puis il la précéda à l'étage pour l'installer dans la chambre qui l'avait accueillie quelques jours plus tôt.
Là, il lui proposa de boire quelque chose. Elle sourit et lui répondit :

"Je vous remercie, je n'ai besoin de rien."

Avant de s'asseoir, elle sortir de la sacoche qu'elle portait en bandoulière - sacoche auparavant cachée sous son manteau - des vêtements masculins soigneusement pliés, qu'elle tendit à Owen.

"Tenez, je vous rends vos biens. Ils sont propres et repassés."

Malgré l'insistance des domestiques d'Europe, elle avait tenu à les laver et les repasser elle-même. Elle n'avait plus repassé de chemise depuis la mort de son père mais n'avait pas perdu la main.
Enfin, elle se décida à s'asseoir sur le lit. Un lit. Si elle le pouvait, elle n'en approcherait plus pendant des mois. Elle avait passé tellement de temps couchée qu'elle en avait presque assez de voir des draps accueillants et des oreillers moelleux.
Enfin, là n'était pas le débat.
Inès soupira.

"Si vous n'y voyez pas d'inconvénient, je préférerais qu'on en finisse au plus vite avec ma déposition. Je vous donnerai tous les détails dont je me souviens, puis le sujet sera clos."

La pauvre jeune femme allait devoir se forcer plus qu'elle ne le croyait pour faire sa déposition. Repenser à tous ces évènements rouvrirait certainement des plaies qu'elle aurait préféré laisser se refermer avec le temps, mais elle devait donner son témoignage pendant que sa mémoire était encore fraîche...

Enquêteur Royal

Il n’avait pas vraiment eu conscience de la maladresse dont il avait fait preuve en lui proposant de s’installer sur le lit. Il n’avait bien entendu que cherché à lui donner l’endroit le plus agréable, les chaises étant ce qu’elles étaient, il fallait admettre qu’elles n’étaient pas très confortables. Hélas la galanterie n’était pas toujours la bienvenue et il aurait peut-être dû réfléchir à l’éventualité que le lit avait du être son seul lieu de repos pendant plusieurs jours, étant donné son état lorsqu’il l’avait laissé à la porte du manoir. Il n’en su toutefois rien puisqu’elle garda ses pensées pour elle, néanmoins il fut presque surpris de voir qu’elle ne désirait rien. Mais après tout, elle n’était pas venue pour boire un verre en « galante » compagnie. Lui-même ne l’avait fait que par politesse, car c’était coutume lorsque l’on recevait quelqu’un, pour courtoisie ou pour affaire. Il la regarda jouer avec sa bandoulière pour en sortir des vêtements qu’il reconnut directement, car il s’agissait des siens, ceux qu’il lui avait prêtés pour qu’elle ne soit pas « nue » alors qu’il la ramenait au Manoir Eléanora-Sun. Il s’en saisit doucement avec un sourire. Il n’avait pas pensé les récupérer, après tout, ils n’étaient pas grand-chose pour lui, et auraient été remplacés à son retour à Paris si cela avait été nécessaire.

« - Vous n’étiez pas obligé de les ramener, mais je vous en remercie, j’aurai quelque chose de propre à me mettre sur le dos grâce à vous. »

Il avait dit cela avec amusement, relevant la remarque qui bruissait souvent dans les murmures des gens lorsqu’il passait à proximité. Beaucoup jugeait que pour un proche de la Reine, il n’était pas aussi bien vêtu qu’on l’aurait imaginé, préférant le cuir rompu par le temps aux tenues de velours et ourlées que portaient les gens de la Cour. Oui, Owen ne mettait pas forcément les plus belles choses, mais il préférait de loin les habits utiles et pratiques à porter, surtout lorsqu’il était en mission, loin des affres de la Noblesse parisienne et de toutes ses simagrées. Qui plus est, il n’avait rien à faire des avis des autres. Seuls ceux qui se pensaient supérieurs se prêtaient à porter un regard critique sur ceux qui ne leur plaisaient pas. Owen était ravi de plaire à peu de monde, il n’avait pas besoin du monde, il se battait jour après jour contre le monde entier, pour y dénicher les meurtriers, les bouchers, les carnassiers.

Il s’installa à son tour sur la chaise après que la jeune femme ait enfin décidé de s’installer sur le lit, non sans un soupir qu’il remarqua. Apparemment, elle n’était pas bien d’être là. Il était un peu sceptique, après tout, elle était venue d’elle-même… Lorsqu’elle lui avoua préférer en finir rapidement, il comprit mieux son état d’esprit. Elle tentait de guérir de cette agression, autant physiquement que mentalement, et se souvenir de cela ne l’aiderait pas en ce sens. Il acquiesça de la tête et rajouta :

« - Je vous en prie, je ne veux pas vous rappeler de mauvais souvenirs. Je me contenterais de ce que vous voudrez bien me donner et même si le plus sera le mieux, je ne vous forcerai pas à aller davantage plus loin que vos propres forces ne le permettent. »

Il se leva, approcha de son bureau et récupéra son carnet ainsi qu’une plume et un encrier qu’il déposa sur la chaise, avant de s’installer à côté de la jeune femme en silence, la chaise lui servant ainsi de petit bureau.

« - Je vous écoute. »

Prêtresse

Inès accepta avec plaisir les remerciements d'Owen lorsqu'elle lui tendit ses vêtements.
Elle n'avait guère eu de distractions pendant sa convalescence, aussi avait elle pris plaisir à s'occuper du linge de l'enquêteur. Pendant ces quelques heures de travail, elle avait eu l'esprit assez occupé pour ne pas penser à son malheur, au moins...

Elle le regarda s'affairer pour préparer de quoi accueillir sa déposition, puis il s'installa à côté d'elle, la rassurant sur le fait qu'il ne tenait absolument pas à la brusquer. Elle sourit et posa sa main valide sur le bras d'Owen.

"Ne vous en faites pas pour moi, ça va aller..."

Elle retira ensuite sa main pour la reposer sur ses genoux. Elle prit une profonde inspiration, comme pour se donner du courage, puis commença.

"Comme je vous l'ai dit lors de notre première rencontre, ma rencontre avec l'Agent du Diable s'est faite très tôt dans la matinée. Le soleil n'était pas encore tout à fait levé." Elle humecta ses lèvres. "Des bruits de verre m'ont tiré de sommeil. J'ai longuement hésité à me lever, j'avais peur que ce soit un cambrioleur... Finalement, j'aurais dû écouter ma conscience..."

Elle cessa de parler quelques secondes pour laisser à Owen le temps de tout écrire. Depuis qu'elle avait commencé à parler, elle l'avait vu griffonner sans cesse sur sa feuille.

"J'ai compris au bruit que le voleur était dans mon échoppe. Je suis donc passée par la cuisine pour le surprendre. Il se tenait là, dos à moi, en train de balancer par terre tous mes bocaux de plantes... Je crois qu'à cet instant... j'ai vu rouge."

Ses joues s'étaient soudain empourprées, comme si elle avait fait un terrible aveu. Oui, ce jour là, elle aurait aimé pouvoir le tuer.

"J'ai pris un couteau dans la cuisine - un de ces gros couteaux à viande, vous savez - et je l'ai interpellé. Au début, il m'a ignorée, alors j'ai recommencé en m'approchant. Je n'ai pas trop compris ce qui s'en est suivi, mais je me rappelle l'avoir frappé de mon couteau, juste au dessus du coude. Puis j'ai volé contre le mur, et là... Le néant. Je me suis réveillée parce qu'il me parlait... Il voulait que je lui donne certaines plantes... J'ai refusé, alors il m'a frappée... Plusieurs fois. Et il m'a cassé le bras pour me montrer qu'il était le plus fort. J'ai tenté de m'enfuir, mais il m'a rattrapée et traînée vers l'extérieur pour me tuer..."

Le silence, de nouveau. Cette fois-ci, ce n'était pas pour laisser le temps à l'enquêteur d'écrire ses paroles, mais plutôt parce qu'elle était troublée. Les mauvais souvenirs commençaient à affluer, et sa manière de raconter la scène changea.

"Je me suis sauvée en déchirant ma chemise de nuit... Et lui, il riait... Son rire... Si sombre, si maléfique... Effrayant... Il savait où j'allais. Il m'a retrouvée... Il m'a attrapée... Il était si fort, si violent... Une bête ! Il a essayé de... De me noyer. Non... En réalité, c'était un jeu pour lui ! De la torture... Il... Il ne voulait pas me tuer. Mais il a presque réussi. J'ai encore un trou de mémoire... Puis je me souviens de son... de sa... Dans m... En moi... Il m'a..."

Elle fondit en larmes.

Enquêteur Royal

Inès était une de ces femmes qui ne se laissent pas aller et qui n’acceptent pas facilement de plier l’échine face aux évènements. L’incursion de l’Agent du Diable dans sa vie n’avait sans doute pas été facile à accepter, surtout lorsqu’elle avait du se rendre compte que malgré toute sa volonté, elle ne pouvait résister face à lui. Il était souvent difficile pour les gens certains de tenir leur avenir entre leurs mains de devoir plier face à un « coup du sort ». Il ne pensait pas néanmoins qu’elle fut blessée dans son amour propre. Non, il ne l’imaginait pas comme cela. Elle était seulement blessée, peut-être à vie, et c’était, si l’on y réfléchissait bien normal. Il fut néanmoins surpris de la voir poser sa main sur son bras, lui assurant qu’il n’avait pas besoin de s’en faire pour elle, que tout irait bien. Quelque chose permit à Owen d’en douter, non pas qu’il ne la croyait pas ouvertement, loin de là, mais l’enquêteur attendait toujours de voir pour croire. Ils n’avaient pas encore abordés le sujet difficile et il était toujours plus facile de se convaincre avant de faire quelque chose que pendant ou après avoir affronté la difficulté.

Plume en main, il l’écouta commencer. Plongé sur son carnet, il notait les informations petit à petit, notant des parcelles de phrases, des mots, des idées. Parfois il dessinait des flèches pour relier des informations, parfois il inscrivait des sortes de symboles. Observer le carnet de l’Enquêteur était un peu découvrir des hiéroglyphes, non pas qu’il écrivait mal, mais simplement qu’il semblait animé d’une logique qui lui était propre. Fort en abréviations et en moyens efficaces pour favoriser la prise de notes, il devenait presque impossible de le relire certaines pages, tant elles étaient griffonnées, surement écrite à la va-vite, lors d’interrogatoire ou de visite sur place. On pouvait également y observer quelques croquis parfois, mais cela restait rare et ce n’était le cas que lorsque la situation l’exigeait réellement, lorsque, par exemple, il y avait des motifs particuliers associés aux meurtres.

Il lui fit un petit signe lorsqu’elle cessa de parler, lui indiquant par là-même qu’elle pouvait continuer sans problème. Owen était rompu à cet exercice, il ne perdait généralement pas une miette de ce qu’on lui disait, même s’il semblait absorbé dans une autre action. Il avait généralement une phrase de retard, mais ce n’était pas spécialement handicapant pour lui, sa mémoire, rompue à l’exercice, lui permettant d’assimiler les informations importantes. Il écouta donc la jeune femme raconter l’agression, raconter comment elle avait hésité à descendre, comment elle avait tenté de se dresser face à un cambrioleur, usant d’une arme improvisée à l’aide d’un couteau de cuisine. Il acquiesça d’ailleurs alors qu’elle « l’interpellait » sur ces fameux couteaux dont il ne connaissait que trop l’utilité détournée. Il repensa d’ailleurs à ce « boucher » qui passait ses nuits à utiliser ses couteaux à viande pour découper des pauvres habitants qui avaient le malheur d’acheter à manger dans sa boutique. Heureusement, il avait poussé le vice à assassiner les personnes chez qui il livrait à domicile, ce qui avait permis de remonter la piste assez facilement jusqu’à lui. Néanmoins, les scènes de crime étaient… comment dire, plutôt impressionnantes. Certains policiers n’avaient d’ailleurs pas eu le cœur assez accroché.

Lorsqu’elle évoqua le fait qu’elle s’était retrouvée contre le mur sans plus de raison, une question germa sur ses lèvres mais il la laissa terminer. Il savait qu’il ne valait pas mieux l’interrompre, il était beaucoup plus facile de tout déballer d’une traite, que de devoir reprendre. Vint alors le moment fatidique où l’agression commença à proprement parler. L’Agent du Diable ne l’avait pas ménagé, ça il n’en doutait pas, surtout vu l’état dans lequel il l’avait retrouvé. Toutefois, il ne s’attendait pas à ce que la jeune femme finisse par craquer, elle qui s’était montrée si forte. Alors qu’elle fondait en larmes, il déposa le carnet sur la chaise et la prit dans ses bras, peut-être maladroitement, mais il n’avait guère mieux à offrir :

« - Vous n’avez pas besoin de vous souvenir de cela, ce n’est pas important. Ce qu’il a fait est ignoble, il subira les conséquences de ses actes, je vous le promets, nous l’arrêterons. »

Prêtresse

Le début de son récit était sorti de ses lèvres plutôt facilement, mais quand était venu le moment fatidique de l'agression sexuelle, elle avait craqué. Elle accueillit les bras d'Owen comme un réconfort, et se laissa aller un moment, tentant de profiter de l’accalmie pour sécher ses larmes. Pelotonnée contre lui, elle se laissa envahir par sa chaleur et ses paroles rassurantes. Finalement, au bout de longues minutes, elle s'écarta, un peu gênée, et rabattit une mèche de ses cheveux derrière son oreille en se mordant la lèvre.

"Pardon, je n'aurais pas dû craquer..."

Elle tenta de se redonner un peu de contenance en s'essuyant les yeux avant de poursuivre vaillamment son récit.

"Cet homme... Ce monstre... n'est que force brute. J'ai eu l'impression... qu'il ne fonctionnait qu'à l'instinct, comme un animal sauvage... Et son odeur... La Morte elle-même n'aurait pas eu pire parfum."

Elle se mordit les lèvres de nouveau.

"Désolée, je n'ai pas l'impression de beaucoup vous aider..."

S'il avait des questions, c'était le moment de les poser. Elle ne savait plus vraiment quoi dire, le reste de ses souvenirs étant vraiment confus dans son esprit. Elle revoyait parfaitement la scène, mais lorsqu'il s'agissait de la raconter, les mots ne voulaient plus sortir, et elle avait l'affreuse impression de perdre toute cohérence dans ses propos. Mieux valait qu'Owen prenne les devants et la questionne. Ce serait certainement plus simple pour tous les deux. Et puis ainsi, il pourrait chercher les informations vraiment importantes en posant les bonnes questions.

Enquêteur Royal

Les minutes s'étaient égrainées lentement alors qu'elle s'était laissée aller contre les bras de l'Enquêteur. Lui-même n'aurait su dire réellement combien de temps s'était écoulé mais il connaissait assez bien ce genre de situation. Même si avec le temps il n'avait gagné aucune compétence en matière de réconfort pour les autres, il savait que c'était régulièrement inévitable lorsqu'on abordait un sujet mentalement déstabilisant. Le viol de la jeune femme en était un, véritablement. Il aurait fallu être totalement détaché de soi-même pour ne pas ressentir un mal-être, une honte ou une horreur totale en repensant à ce que l'on avait subi, à cette manière brutale et violente avec laquelle on avait été traité, pas plus importante qu'un morceau de viande fraiche livrée à un carnassier affamé. Dans ces moments, on avait l'impression d'être moins que rien, notre personnalité ne comptait, notre existence en tant qu'individu elle-même était mise entre parenthèses. On devait simplement un pantin, une marionnette que l'on manipule et à laquelle on fait subir toutes les atrocités que l'on décide « amusante » de lui infliger. Owen avait vu des cadavres bien plus mutilés que ceux de la jeune femme, ayant subi des tortures indescriptibles, parfois même racontées par leurs auteurs lorsque l'Enquêteur venait leur rendre une dernière visite une fois derrière les barreaux – que ce soit pour essayer d'obtenir certaines précisions, voire même les emplacements de certains corps que l'on ne retrouvait pas. Aussi, il n'avait pas été plus impressionné que cela par les blessures infligées à Inès, après tout, elle pouvait s'estimer avoir de la chance de n'avoir subi « que » cela, mais pour elle, ce « que » était déjà bien trop il le savait, voilà pourquoi il taisait cette phrase hors de propos dans cette situation.

Lorsqu'elle s'écarta, visiblement gênée, il l'observa remettre en place une mèche de cheveux et dénota sa façon de se mordre la lèvre. Il eut un léger sourire lorsqu'elle s'excusa d'avoir craqué. Il répondit de manière très légère, reprenant son carnet et sa plume en main :

« - Ne vous excusez de rien, ce n'est pas grave et puis, vous ne pouvez pas porter ce fardeau sans vous décharger un peu de son poids de temps en temps. »

Il écouta ensuite attentivement sa manière de décrire l'Agent : une vraie bête brutale et monstrueuse. La description était très peu objective, à ne pas en douter, toutefois il semblait évident que cet homme n'agissait pas vraiment sous le coup de la réflexion. Il frappait quand il avait envie, de la manière dont il avait envie et surtout, sur qui il avait envie. Rien de plus, rien de moins. C'était bien cela le plus terrible avec cet Agent du Diable : il frappait au hasard, il n'y avait pas de lien avec les différentes victimes. Heureusement cette caractérisation – qui était justement l'absence de caractérisation – aidait beaucoup Owen dans son enquête. Il revint à la jeune femme après une petit digression sur son affaire lorsqu'elle s'excusa de ne pas l'aider énormément. Encore une fois, il eut un sourire franc et prit la parole:

« - Je ne vais pas vous cacher que ce n'est pas avec votre description que nous pourront mettre la main sur lui, c'est évident, néanmoins, ne vous jugez pas aussi inutile que cela, vous confirmez pas mal de mes hypothèses et peut-être seriez vous surprise d'apprendre que vous m'aidez plus que vous ne le pensez. »

Il sembla réfléchir un instant puis finit par reprendre:

« - Vous souvenez-vous exactement du moment qui s'est déroulé entre l'instant où vous avez décidé de l'attaquer avec votre couteau et celui où vous avez été repoussée contre le mur ? »

Il était curieux de savoir comment cet homme, entaillé, avait-il pu retourner la situation aussi vite...

Prêtresse

Les paroles rassurantes de l'enquêteur eurent pour effet d'apaiser la jeune femme, tout du moins assez pour que ses idées s'éclaircissent. Elle devait rester objective. Elle avait conscience de n'être guère utile, pourtant elle apprécia qu'Owen lui assure qu'elle l'aidait plus qu'elle ne le pensait. Que ce soit vrai ou non, c'était agréable à entendre. Et puis... Quel intérêt aurait-il eu à mentir ? Elle ne le connaissait guère, mais elle savait pourtant qu'il disait ce qu'il pensait.
Il lui demanda si elle se souvenait avec exactitude du moment où elle l'avait blessé, et ce qui avait provoqué cette confrontation. Le silence s'installa quelques secondes, le temps qu'Inès fouille aux tréfonds de sa mémoire, puis elle hocha la tête. Oui, elle se souvenait clairement, à présent.

"Il était en train de chercher quelque chose dans mes bocaux. Je lui ai demandé plusieurs fois de partir, mais il ne m'a même pas écoutée, comme si je n'existais pas. Alors j'ai menacé de le tuer."

L'aurait-elle réellement tué ? Elle-même n'aurait pu alors répondre à cette question...

"J'avais l'impression qu'il ne me regardait même pas. Il a fait volte face et s'est contenté d'avancer vers moi. Ses pas étaient rapides, décidés. J'ai eu peur et j'ai levé mon couteau en fermant les yeux, je ne voulais pas voir de sang. Sur le coup, je ne me suis pas rendue compte que je l'avais blessé. Comme j'étais sur son chemin, il m'a simplement poussée... Et j'ai volé contre le mur le plus proche."

Elle n'était pas très lourde, la demoiselle, mais quand même... Comment un être humain normal aurait-il pu l'envoyer valser ainsi ? Elle-même ne parvenait pas à comprendre.

"Si ça peut vous aider, il est plus grand que vous d'au moins une bonne tête. Et il a la carrure d'un ours. Je m'en souviens maintenant, parce qu'après avoir été balancée contre le mur, je me suis relevée et je lui ai sauté dessus pour le rouer de coup..."

Elle baissa le nez vers le sol.

"On aurait dit que j'étais un moustique et que mes poings ne lui faisaient rien du tout... Je me demande... S'il est vraiment humain."

Enquêteur Royal

[HRP : Et voilà, c’est ton tour miss, désolé de t’avoir fait attendre.]

Elle reprenait du « poil de la bête ». C’était bien. Owen ne savait pas s’il aurait pu faire avec une de ces pleurnicheuses. Beaucoup de femmes n’avaient pas assez de tripes pour faire face à ce genre de situation. Pire encore, elles passaient pour la plupart leur temps à pleurer ou à se lamenter au lieu d’essayer de faire face. L’Enquêteur avait beaucoup de mal avec ces femmes-là, d’autant qu’il était presque impossible de leur soutirer la moindre information. Mais Inès n’était pas de ces femmes-là. Forte et courageuse, elle prenait sur elle. Même si elle avait craqué quelques instants plus tôt, il ne lui avait fallu que peu de temps pour se reprendre et continuer sa déposition. Il n’eut pas l’idée de lui parler de la page qu’avait laissée l’Agent du Diable dans son carnet, surement par sa faute. Après tout, c’était la conséquence de la relâche d’Owen si cet homme avait su retrouver sa trace, il n’aurait pas du diminuer sa vigilance, même pour cette femme. Il n’allait pas jusqu’à penser qu’il aurait mieux fait de la laisser à l’étang, non, il ne fallait pas penser cela. Au contraire, cette intrusion était presque intéressante. Un coup audacieux de l’Agent qui lui couterait peut-être la liberté et la vie. A jouer avec le feu, on finissait par se brûler.

Inès commença à lui faire son récit concernant les moments presque primordiaux qui séparaient le moment où elle avait tenté son agression et celui ou elle avait été repoussée et s’était retrouvée en position de faiblesse. C’était ces moments-là qui avaient surement déterminés une bonne partie de la suite, notamment les traitements les atrocités qu’elle avait subit. L’agression avait finalement été très surprenante. Il ne s’était pas attendu à ce qu’elle puisse fermer les yeux dans une situation comme celle-là. Rien que par le fait de s’armer, il songer qu’elle aurait au moins pu porter un coup puissant les yeux ouverts, quitte à fermer les yeux au moment de l’impact. Ainsi donc cela n’avait rien d’étonnant que la jeune femme se soit retrouvée contre un mur quelques instants plus tard. Le rapport de force n’était déjà pas à son avantage, si en plus elle s’handicapait en se rendant aveugle, il était même très étonnant qu’elle ait pu le blesser. Il écouta néanmoins avec assez d’attention la partie descriptive de l’Agent. Même si elle n’était pas très précise, elle avait le mérite de soulever quelques détails intéressants. Il retint un sourire alors qu’elle lui expliquait comment elle lui avait sauté sur le dos, se comparant à un moustique dont les piqûres ne font absolument pas mal.

« - Les hommes peuvent avoir des carrures impressionnantes vous savez. Moi-même je ne suis pas certain que votre volonté de me mettre à terre puisse y parvenir. »

Il s’arrêta un instant puis reprit :

« - Vous avez l’air tout sauf faible Inès, mais comparativement à un homme, elle peut sembler proche du ridicule, surtout si ce dernier possède un physique impressionnante. »

Il nota encore deux ou trois choses dans son carnet puis le referma avant de se retourner vers la jeune femme :

« - Ne sautez pas trop vite aux conclusions. Je vous assure que cet homme est tout ce qu’il y a de plus humain. C’est un monstre dans la mesure où il n’hésite pas à tuer tout ce qu’il désire et que la raison l’a surement abandonné, mais il reste un homme que la Justice pourra juger et condamner à mort pour ses crimes. »

Prêtresse

Oui, Inès reprenait du poil de la bête. La jeune femme avait une impressionnante force de caractère, aussi n'était-elle pas du genre à se cantonner aux pleurs et autres jérémiades du même genre. En témoignait d'ailleurs sa lutte acharnée, bien qu'inutile, contre l'Agent du Diable. Elle avait lutté jusqu'à n'en plus pouvoir, tant et si bien qu'elle avait au final gagné contre ce monstre, puisqu'au lieu de la tuer il avait décidé de la laisser en vie. Il pensait certainement l'avoir moralement détruite, mais au contraire elle ne ressortait de ce cauchemar que plus forte, telle une Amazone elle remontait en selle sans se poser de question.

"Les hommes peuvent avoir des carrures impressionnantes vous savez. Moi-même je ne suis pas certain que votre volonté de me mettre à terre puisse y parvenir."

"Vous seriez surpris..." avait-elle murmuré, un léger sourire flottant à présent sur ses lèvres.

Elle s'était entraînée avec Europe, et même si elle ne maîtrisait pas encore toutes les arcanes magiques, elle avait pu s'améliorer assez pour pouvoir utiliser ses pouvoirs sans trembler en cas de danger. Certes, Owen parlait de sa force physique, mais il était si aisé de manipuler l'esprit d'un homme pour lui faire croire qu'il n'avait que la force d'un enfant...

L'enquêteur lui assura ensuite que l'assassin ne pouvait être qu'un homme comme les autres. Il ne croyait pas en la magie ou aux forces occultes en général, elle en était certaine. Pourtant, la magie existait bel et bien, et elle était très bien placée pour le savoir.

"Vous devriez croire un peu plus aux choses que vous ne pouvez voir. En ce qui me concerne, je suis certaine que la magie existe. Vous pouvez choisir de ne pas me croire, ou bien me prendre pour une aliénée, mais je sais très bien ce que j'ai vu. J'ai déjà rencontré l'occulte... Et je vous envie dans votre naïveté, Owen."

Elle avait dit ça avec sincérité, posant de nouveau sa main sur le bras de son interlocuteur. Elle l'avait appelé par son prénom sans véritablement y penser, oubliant toute bienséance.

Enquêteur Royal

Oui, surement qu’Inès pourrait le mettre à bas. Il ne doutait pas que la furie d’une femme puisse être dévastatrice, mais lui-même n’était pas un fier à bras. Il était bien entretenu, bien entendu, mais ce n’était pas un taureau, un ours, ou tout autre animal puissant. Owen jouait dans l’agilité et la rapidité. C’était ainsi qu’il attrapait les criminels qu’il poursuivait. Esquives et frappes précises pour que le combat ne s’éternise pas et que l’ennemi se retrouve rapidement hors d’état de nuire. Qui plus est, face à une femme, innocente de surcroit, il aurait beaucoup de mal à réellement se défendre. Aussi, il répondit au petit sourire de son témoin par une petite phrase et un regard amusé :

« - Il serait peu décent de me sauter dessus, mais effectivement, j’estime probable que vous soyez capable de me malmener quelque peu, même si vous ne pourriez surement pas me maîtriser totalement. »

Il fallait rester réaliste, même avec le dessus de la surprise, à mains nues, elle n’avait aucune chance sur le long terme. A moins de l’assommer avec un objet quelconque dès le premier mouvement, Owen finirait par reprendre l’avantage et sa force finirait par maitriser Inès. Bien entendu, il n’était pas au courant des pouvoirs surnaturels de la jeune femme, peut-être bien qu’avec cela elle parviendrait à le maitriser, mais l’Enquêteur avait une force de volonté puissante. Pouvait-elle en venir à bout ? Il ne savait pas.

D’ailleurs, en parlant de surnaturel, elle se permit néanmoins de préciser qu’il avait tort de ne pas croire dans la sorcellerie – ce que désignait implicitement ce qu’il ne pouvait voir. Elle lui assurait que cela existait, comme bien d’autres avant elle, pourtant Owen ne pouvait se résoudre à croire sur parole, si l’occulte existait, et bien il se cachait de lui. Avait-il peur de la raison d’un Enquêteur ? Ce dernier sourit à cette idée. Lorsqu’elle le considéra « affectueusement » de naïf, sa main se posant sur son bras, il eut un sourire léger et répondit :

« - Bénis sont les ignorants, n’est-ce pas ? Je ne dis pas que je ne crois pas en vos paroles, Inès, loin de là. Néanmoins j’ai eu mon lot de « surnaturel » ou d’ « occulte » que mon ami et moi avons toujours fini par pouvoir expliquer par la simple logique. J’ai peine à croire que Forbach est si différente pour déroger à la règle. »

Il plongea son regard dans le sien et sentit la détermination de la jeune femme, il se permit alors à rajouter :

« - Mais soit, puisque vous me le conseillez, je veillerais à garder une porte ouverte vers l’inexplicable rationnellement. Je doute néanmoins que l’affaire qui nous concerne ne soit dans cette optique. »

Il jeta un œil sur ses affaires qui trônaient sur la chaise et se permit de rajouter :

« - Vous dites avoir rencontré l’occulte, parlez m’en donc, peut-être parviendrez vous à me convaincre en me racontant qu’elles ont été vos expériences. Je suis très curieux et je serai ravi de vous écouter me parler de quelque chose qui semble vous passionner. Ais-je tort ? »

Prêtresse

Il lui avait affirmé ne pas mettre en doute ses paroles, ses croyances. Il avait poursuivi en acceptant de rester ouvert à l'inexplicable. Et là, il lui demandait de parler de ce qu'elle avait vu, de ce qu'elle avait vécu en matière d'occulte !
Sa main avait brusquement quitté le bras de l'enquêteur pour revenir sur ses genoux, et elle détourna le regard.

"Je suis désolée, je... Je ne peux pas en parler."

Elle en avait trop dit. Si cela venait à se savoir... Non, vraiment, elle ne pouvait pas en parler à Owen, ni même lui prouver que la magie existait bel et bien, ça aurait été contraire au règlement d'Olrun, règlement dont elle était, en sa qualité de Prêtresse, l'une des gardiennes... Pourtant... Elle avait envie de le convaincre... Mais elle ne pouvait pas. Quelle torture de savoir que l'on avait toutes les cartes en main pour prouver ce que l'on avançait, et de ne pas avoir le droit de les utiliser !
Ses yeux finirent par se poser de nouveau sur Owen.

"Vous avez raison, le sujet me passionne. Pourtant, il vous faudra vous forger un avis de vous-même, je ne peux rien vous dire. Cela me navre beaucoup, mais c'est ainsi..."

Elle n'ajouta rien de plus, préférant à présent changer de sujet. Ils avaient terminé la déposition, maintenant la discussion pouvait être plus légère. Prenant un air plus enjoué, Inès lança :

"Votre femme n'est-elle pas triste d'être si souvent éloignée de vous ? J'imagine que vous devez beaucoup voyager..."

Elle ne savait pas si Owen était marié ou pas, à vrai dire, mais dans la logique, à son âge, il devait avoir une épouse, et peu être déjà un ou deux enfants, sinon plus... Et puis, sa question était aussi un moyen détourné pour savoir s'il était célibataire ou pas... Elle avait demandé sans vraiment réfléchir, cherchant surtout un autre sujet de conversation, et c'était le premier qui s'était imposé à son esprit.

Enquêteur Royal

Avec les paroles fortes et convaincues qu’elle avait prononcées, Owen s’attendait à ce qu’Inès lui parle de faits probants, lui détaille des situations logiquement inexplicables, hors d’atteinte de toute pensée et idée cartésienne. Ses attentes avaient été exacerbées par ces promesses, exaltées par sa curiosité et pourtant rien ne vint. Lorsqu’il lui demanda de lui parler de l’occulte, de ses expériences, elle se referma, presque aussi violemment que se ferme une porte sous un courant d’air soudain. Surpris, il se demanda ce qui pouvait bien générer une telle réaction. Ses expériences de l’occulte étaient-elles douloureuses ? Pourquoi ne pas en parler ? On ne parlait pas de quelque chose lorsque c’était inconvenant, lorsque c’était douloureux, ou lorsqu’on ne voulait pas, ou simplement ne pouvait pas en parler. Mais quelle pouvait bien être la vraie raison ? Selon ses paroles, on pouvait directement plonger vers la dernière solution. Etait-ce une expérience commune qu’ils avaient décidés de taire ? Etait-ce quelque chose à laquelle on l’avait forcée au silence ? Et si oui, quelle pouvait être cette chose ? L’esprit d’Owen était en ébullition complète. Inès avait non seulement suscité son interrogation concernant l’importance qu’elle accordait à l’occulte mais également sur le fait qu’elle l’avait, selon ses dires, rencontré. C’était un peu comme si on vous présentait un coffre scellé par une serrure et on vous promet un trésor fabuleux, des pièces d’or, des saphirs, des émeraudes, des améthystes, des rubis, que vous vous imaginez déjà tout cela, brillant à vos yeux, et que, finalement, on vous annonce que l’on a perdu la clef et que l’on ne pourra pas l’ouvrir. Imaginez votre déception. Alors, bien entendu, vous allez chercher à secouer et malmener le coffre, mais il ne cèdera pas, tout comme Inès ne céderait pas si Owen continuait à la questionner. Qui plus est, ce n’était pas très galant. Elle avait exprimé son désarroi mais elle ne pouvait pas en parler. Même s’il n’était pas spécialement « ravi » de ce dénouement, il devrait faire avec c’était ainsi.

« - Nous verrons ce que me réserve l’occulte alors. Peut-être éclairera-t-il vos paroles pour moi. »

Oui, la déposition était terminée. L’Enquêteur n’avait plus besoin de rien. De toute façon, il y avait peu à savoir. Peut-être valait-il mieux également changer de sujet, parler de l’Agent du Diable continuerait à orienter la discussion sur l’occulte. Ce fut elle qui changea la discussion et l’orienta sur la femme d’Owen. Il fut surpris de ce sujet. La jeune femme ayant montré intérêt à son métier, il avait pensé qu’elle prendrait d’abord cette direction mais ce n’était pas le cas. Il eut un léger sourire à la question. Non sa femme n’était pas triste, et pour cause ! Elle n’existait pas.

« - La seule personne qui doit se languir de mon retour est mon ami, John, un médecin qui m’accompagne souvent dans mes enquêtes, même s’il ne peut s’éloigner loin de Paris à cause de son métier qui l’accapare beaucoup. Je ne suis pas marié, mon métier et ma nature sont bien trop solitaires pour cela. »

Tout un mythe s’effondre, n’est-ce pas ? Il se releva lentement et jeta un regard par la fenêtre. Il faisait nuit noire dehors. Tout en fixant l’horizon invisible, il répondit :

« - Et vous ? Je suppose que vous avez du faire chavirer bien des cœurs dans cette ville. Ne me dites pas que vous n’avez pas encore trouvé chaussure à votre pied ? »

Prêtresse

Inès l'ignorait, mais elle avait éveillé la curiosité du Loup de la Reine. Non pas en lui assurant que l'occulte existait bel et bien, mais plutôt en refusant catégoriquement d'en parler. Ce que lui ne savait pas, c'était qu'elle mourait d'envie de lui raconter ce qu'elle vivait régulièrement, de lui montrer ce dont elle-même était capable. Hélas, elle était tenue au secret par les lois mêmes qu'elle était chargée de faire appliquer par le reste de la tribu d'Olrun.
Il sembla toutefois comprendre la gêne de la jeune femme, et malgré les questions qui semblaient lui brûler les lèvres, il accepta de changer de conversation.

Owen lui avoua ne pas être marié. Elle haussa un sourcil, surprise. Il était beau garçon, et malgré son air un peu bourru parfois, elle le trouvait très agréable, presque attachant. Il lui retourna naturellement la question, glissant dans la discussion un compliment déguisé. Elle rougit légèrement et répondit :

"Hélas, personne ne partage ma vie... C'est une situation que je déplore, surtout que je suis à un âge où normalement je devrait déjà avoir un, voire deux enfants... Mais que voulez-vous, il semblerait que je sois trop indépendante au goût des hommes de Forbach..."

Elle partit d'un rire léger. C'était la vérité, elle avait bien eu quelques prétendants, mais lorsque ceux-ci avaient abordé le sujet de la condition de la femme - à savoir à la maison derrière les fourneaux - elle avait à chaque fois bondi, pesté, et avait fini par les renvoyer sans pitié dans les jupes de leur mère. Et à cette époque, elle n'avait que seize ans... Depuis, plus aucun homme n'était venu frapper à sa porte, un bouquet de fleurs champêtres à la main...

Enquêteur Royal

Cette question et cette réponse, surtout, reflétait bien l'étendue de l'existence d'Owen. Depuis son enfance, depuis l'évènement qui avait marqué la fin de sa vie telle qu'elle était, il n'avait eu de cesse de traquer les « méchants », de mettre sous les verrous les criminels, de faire prendre les meurtriers et les assassins, qu'importent leurs méthodes, aussi insaisissables qu'ils soient. C'était une vocation, un désir de vengeance, une volonté propre de punir ceux qui ne pouvaient l'être par les gens du commun, d'être celui qui punirait ceux qui se pensaient tout permis. D'abord il l'avait fait pour ses parents, pour lui, pour pouvoir mettre la main sur celui qui avait prit sa vie, qui en avait fait cette perpétuelle chasse à l'homme. Pourtant cette chasse n'aurait jamais de fin. Un jour Owen crut qu'il y en aurait une. Un jour il crut qu'il parviendrait à arrêter le meurtrier de ses parents, mais ce n'était qu'un vulgaire copieur. Un pauvre hère qui s'était forgée une réputation à l'aide de celle d'un meurtrier célèbre qui avait sévi des années plus tôt. Même cette vengeance là, Owen n'avait pu l'avoir. Aurait-il pu continuer à vivre de cette vengeance ? Surement pas. De cette envie de justice, il en avait fait un devoir, une obligation. Sa vie n'était plus dévouée égoïstement à lui, mais aux autres. Ce n'était pas un super-héros, mais ce qu'il savait faire, il le faisait bien, même très bien. Aussi, autant le faire. Qu'aurait-il fait de sa vie sinon pourchasser les criminels ? Il se voyait mal faire autre chose, bien que comme tout, il aurait surement fini par apprendre si cela avait été nécessaire. Peut-être qu'un jour il n'y aurait plus d'assassins, mais c'était très improbable, pour ne pas dire impossible.

Entièrement dévoué à son travail, Owen n'aurait jamais eu de temps pour une femme, qui plus est, aurait-elle accepté ses absences répétées ? Le Loup de la Reine ne se voyait pas capable de mener une vie de famille, non parce qu'il ne s'en estimait pas capable, mais bel et bien parce que cela constituait un point faible qu'il ne pouvait se permettre. Ses proches seraient la première cible des assassins désirant le briser, et cela il ne le permettrait pas. Mais il était bien plus facile de ne pas avoir de proches, que d'essayer de les défendre contre des menaces presque invisibles avant qu'elles n'aient frappées. Et puis, c'était certainement mieux ainsi. Owen savait qu'il n'était probablement supportable sur la durée. Son obsession du détail finirait par agacer, gêner. Même lorsqu'il dine avec son ami médecin, il ne peut s'empêcher de détailler les gens, de trouver ce qu'ils dissimulent, ce qu'ils sont vraiment. C'est un don qui est également un poison, malheureusement. Avec le temps, l'Enquêteur s'y était fait, car il s'agissait de lui-même, mais les autres pourraient-ils s'y faire eux aussi ?

Il fut ramené à la réalité par les paroles d'Inès, revenant d'ailleurs il se retourna vers elle et répondit, amusé:

« - Les hommes ont peur du caractère, pourtant, ils ont tort de songer ainsi, il y bien plus à découvrir chez une femme qui s'affirme que chez une qui se plie face à son mari. Vous trouverez chaussure à votre pied, j'en suis persuadé, regardez le Baron Zimmerman, on ne peut pas dire que son épouse soit des plus faibles, bien au contraire, et pourtant elle s'est faite apprivoisée. »

Il eut un sourire entendu:

« - Si vous permettez ce langage, pour continuer ma métaphore, je pense simplement que vous n'avez pas trouvé celui qui saura y faire pour vous apprivoiser. Soit entendu qu'il ne faut pas prendre le verbe apprivoiser au sens propre. »

Il traversa la pièce et se servit un verre d'eau:

« - Je ne vous sers toujours rien ? »

Il attendit sa réponse, agit en conséquence et rajouta:

« - Alors mademoiselle Gallois, qu'avez-vous donc pu faire à ces hommes pour qu'ils vous considèrent comme une bête sauvage indomptable ? »

Prêtresse

"Vous êtes bien l'un des rares hommes ici qui sache apprécier la valeur d'une femme indépendante," répondit-elle dans un sourire.

Owen avait parfaitement raison. Il était tellement plus intéressant d'apprendre à connaître une femme de caractère plutôt qu'une de ces petites femmes parfaites qui se pliaient aux quatre volontés de leur époux. Pourtant, il fallait croire que la gente masculine de Forbach préférait les gentilles boniches aux femmes comme elle...
Même avec toute la bonne volonté du monde, il eut été impossible d'arracher Inès à son indépendance. Elle aimait travailler, gagner seule de quoi remplir sa cuisine et aider les autres. Pourquoi s'en serait-elle privée ? Au nom de quelle loi ? Elle détestait recevoir des ordres, du genre "Femme, apporte moi de la cervoise et lave mes pieds salis par le travail dans les champs". Certaines de ses amies avaient épousé des hommes rustres, et elle pouvait bien voir qu'elles étaient malheureuse. Elle-même ne voulait pas de ce malheur, elle se refusait à laisser entrer cette tristesse, ce vide dans son regard.

Elle fut ramenée à la réalité par l'enquêteur, qui lui proposait de nouveau de lui offrir quelque chose à boire. Cette fois-ci, elle accepta.

"Auriez-vous quelque chose de fort ? Si non, je prendrai simplement un verre d'eau."

Oui, elle voulait une boisson d'homme. Non pas pour prouver à Owen qu'elle avait des tripes, mais plutôt pour se redonner des forces après sa déposition, qui l'avait bien plus ébranlée que ce qu'elle avait pensé.
Il lui demanda ensuite ce qu'elle avait fait à ses prétendants pour qu'ils finissent par se passer le mot et laissent tous tomber. Là, elle éclata de rire en se souvenant de certains "coups" qu'elle leur avait fait.

"Et bien, voyons voir... L'un d'eux, Henri Morelle, a osé me dire qu'avant qu'il m'épouse je devais avoir mis la clef sous la porte de mon commerce. Je l'ai simplement mis dehors avec un grand coup de pied aux fesses, il n'a pas compris ce qui lui arrivait... Et j'ai renversé du purin dont je me servais comme engrais sur un autre, qui voulait que je reste docilement à la maison tandis qu'il se payait les services d'une prostituée parce que je refusais de coucher avec lui avant le mariage... Le bruit a vite couru que j'étais une véritable mégère, chose fausse bien entendu, et je n'ai plus vu aucun homme depuis ça."

Elle avait dit tout ça en riant, comme si elle leur avait fait de bonnes blagues. Décidément, elle était vraiment imprévisible... Puis, en toute logique, elle lui retourna la question.

"Et vous ? Est-ce délibéré de votre part de ne pas chercher chaussure à votre pied, ou bien n'avez-vous simplement pas encore trouvé celle qui ferait battre votre coeur ?"

Enquêteur Royal

« - Pour toute beauté, il est toujours des personnes pour l'apprécier. »Fit-il, amusé.

Il ne comprenait que trop bien que certaines femmes recherchent l'indépendance et une vie d'égale à celle des hommes. Vu comment certains maris traitaient leurs femmes, celles qui s'étaient engagées à un tyran devenaient parfois de vraies lionnes en cage qui, au premier faux-mouvement, pouvaient tuer. Owen ne savait pas vraiment si l'on pouvait les en blâmer. Après tout, si un homme aime son épouse et la traite comme il le faut, c'est à dire en lui laissant les coudées franches et en la considérant comme son égal et non comme un objet, il n'y aucune raison pour que cela finisse mal, sauf si, bien entendu, les sentiments d'amour ne suivent plus.

Il ne put s'empêcher de hausser un sourcil de surprise lorsqu'elle lui demanda s'il avait quelque chose de fort. Amusé, il se figea un instant dans une moue pensive. Il reposa la cruche et vida son verre d'eau dedans avant de se diriger dans un coin de la pièce mal éclairé.

« - Si vous me prenez par les sentiments... »

Il avait dit cela sur un ton très amusé et avait sorti de l'ombre d'un endroit incongru une bouteille translucide qui contenait un liquide qui l'était tout autant. A première vue, on aurait pu penser qu'il ne s'agissait que d'eau, mais lorsqu'il ouvrit le bouchon, une odeur de pomme se faufila jusqu'aux narines de la jeune femme, un fumet qui s'accentua lorsque l'Enqueur revint, après avoir bouché la bouteille, avec deux verres remplis à moitié de ce bien curieux breuvage. Il tendit l'un deux à mademoiselle Gallois avant de rajouter:

« - Cuvée Spéciale du Docteur. Faite maison vous m'en direz des nouvelles, mais je vous en prie, évitez d'y aller cul-sec, cette potion pourrait presque faire croire à du vitriol. »

Il eut un sourire et but lui-même une gorgée qui lui réchauffa amplement le corps. Il entendit ensuite les raisons pour lesquelles elle avait refroidi les hommes de cette ville. Owen ne sut vraiment s'il devait rire ou se retenir par galanterie, mais il eut beaucoup de mal à cacher ses sourires, surtout en imaginant le pauvre prétendant recouvert de purin.

« - Vous n'y allez pas avec le dos de la cuillère ! Je pourrais presque plaindre ces malheureux s'ils n'avaient pas été aussi désobligeants. Enfin, heureusement ce comportement ne vous a pas valu d'être étiquetée comme sorcière, nombreuses sont les femmes fortes qui n'ont pas eu votre chance... »

Il se réchauffa encore un peu et manqua de s'étrangler de surprise à la question d'Inès. Il parvint néanmoins à sauver les apparences et se refit une contenance avant de répondre:

« - Comme vous l'avez justement remarqué, je doute qu'une femme puisse supporter mon métier, sinon, pour vous répondre en toute honnêteté, disons simplement que je n'ai pas trouvé l'intérêt de chercher chaussure à mon pied...Il marqua une petite pause et reprit, le regard complice. « Mes bottes me conviennent parfaitement. »

Il regarda le fond de son verre et reprit:

« - Ne regrettez-vous pas cette solitude ? Je comprends votre fierté d'être femme, mais cela ne vous pèse pas ? Ou peut-être attendez-vous encore l'élu de votre cœur ? Rares sont les femmes qui ne veulent catégoriquement pas avoir de famille dont elle pourrait s'occuper, même sans être l'esclave de l'homme de la maison. »

Prêtresse

Inès observa avec amusement l'enquêteur hausser les sourcils d'étonnement à sa demande et alors qu'il allait chercher une bouteille cachée dans un coin sombre. Le liquide qu'elle contenait était aussi transparent que de l'eau, mais lorsqu'il déboucha la bouteille elle eut la certitude qu'il ne s'agissait pas d'eau. Une forte - et agréable - odeur de pomme se propagea dans toute la pièce tandis qu'il servait deux verres de ce tord-boyaux. Cuvée spéciale du Docteur ? Elle saisit le verre tendu en écoutant les recommandations d'Owen. Ne pas boire cul-sec. Elle acquiesça en le remerciant - précisant qu'elle buvait en ce grandes occasions un verre d'alcool de poire qu'elle préparait elle-même, donc qu'elle avait l'habitude - et porta le liquide à ses lèvres.

On aurait pu s'attendre, venant d'une femme, à une grimace, une forte toux, comme si elle brûlait de l'intérieur en avalant le liquide translucide, mais non. Inès ne prit qu'une petite gorgée, et mis à part une légère grimace quand la "potion" lui passa dans le gosier, elle ne sembla pas vraiment affectée par le taux d'alcool du breuvage.

"Délicieux. Vous féliciterez votre ami pour la qualité de sa distillerie."

Elle garda le verre dans ses mains, comme pour les occuper tandis qu'ils discutaient. Il manqua éclater de rire alors qu'elle lui racontait, espiègle, ce qu'elle avait fait subir à ses pauvres prétendants, puis la félicita de ne pas avoir été cataloguée sorcière pour cela. Elle sourit et haussa les épaules.

"Les gens qui sont nés et on vécu toute leur vie ici, à Forbach, savent faire la différence entre une femme au caractère prononcé et une sorcière, heureusement pour moi."

Si seulement il avait su qu'il n'avait pas qu'une jeune femme indépendante face à lui, il aurait sans doute trouvé cela moins amusant. Pourtant, malgré la tentation elle n'avait jamais usé de magie sur quelqu'un. Pas même lorsque sa vie en avait dépendu, preuve en était sa mésaventure avec l'Agent du Diable...
Lorsqu'elle lui retourna la question, lui demandant si lui-même était célibataire par choix ou par nécessité, il lui répondit qu'il doutait qu'une femme puisse supporter son métier, et que de toute façon il n'avait jamais pensé à chercher une épouse.
Elle but une autre gorgée du liquide corsé et eut un sourire tendre.

"Il doit être difficile de voir son époux partir régulièrement en mission loin du foyer, je peux comprendre cela. Mais si vous trouvez une femme qui vous aime vraiment, elle comprendra les besoins de votre travail et sera là pour vous épauler, non pour pester contre ce que vous faites..."

Enfin, il lui demanda si elle ne regrettait pas cette solitude, si elle était résignée à vivre seule ou si elle attendait encore l'élu de son coeur. Là, elle vida le reste de son verre cul-sec, manquant s'étouffer, la gorge chauffée par la quantité d'alcool qui y avait été déversée, mais elle toussota et se reprit avant de répondre.

"Bien sûr que je le regrette. Quel être humain sur Terre refuserait de recevoir de l'amour ? Hélas, je n'ai pas encore trouvé mon prince charmant..." Elle eut un sourire triste et poursuivit en posant une main sur sa poitrine, par dessus le tissu de sa robe."Et puis de toute façon, qui voudrait de moi, maintenant ? J'ai passé les vingt-six printemps, ma virginité m'a été volée par un monstre, et je garderai à vie ses marques sur ma poitrine..."

Son sourire avait disparu, et elle avait à présent le regard dans le vague. Une larme perla à son oeil droit, sans pour autant couler le long de sa joue. Si elle s'autorisait à pleurer de nouveau, elle savait que l'alcool aidant elle aurait du mal à se calmer....

Enquêteur Royal

Oui, une chose était certaine, la distillerie de John était probablement l'une des meilleures. Artisanale, produite en petite quantité, elle gagnait énormément en qualité, surtout lorsqu'on savait à quel point ce médecin était féru de plantes. Il lui avait un jour avoué qu'il se fournissait en pommes chez un cultivateur local chez lequel il sélectionnait lui-même les fruits pour leur qualités autant physiques que gustatives. Oui, John était pleinement conscient de la qualité de son produit, d'ailleurs réservé à un cercle très restreint d'amis proches ou de clients très fidèles à qui il offrait une bouteille pour les fêtes de fin d'année. Lui-même en buvait très peu, il se contentait d'un verre à l'occasion. En contemplant son verre, Owen se rendit compte que, malgré l'intérêt et la curiosité qu'il portait à l'Enquête, Paris lui manquait. Non pas pour la vie qui y régnait, ni la Cour, ni la Reine, ni autre chose de ce goût-là, mais simplement pour son ami. Owen avait beau être un solitaire, un peu de compagnie ne faisait pas de mal de temps à autre et lorsque John venait frapper chez lui, de temps en temps, après le service, ils échangeaient quelques mots. Oui la compagnie était agréable, amicale et appréciable, et cela lui manquait. Mais leurs devoirs étaient tels qu'ils devaient d'abord penser à ceux-là mêmes, avant de penser à eux-mêmes.

« - Je veillerai à les lui transmettre même si je puis vous assurer qu'il est plus conscient des qualités de son désinfectant. »

Owen préféra noyer cet élan d'émotions dans une petite farce. Oui, car on pouvait bien se douter qu'un médecin ne serait pas forcément le premier à créer un alcool tout à fait utilisable comme désinfectant, à la fois pour le corps et l'esprit. Oui, voilà ce qu'était cette liqueur, un désinfectant pour l'esprit. Aussi certains qu'il pouvait vaincre les infections externes, il permettait également de noyer les élans sentimentaux inutiles. De quoi vous remettre d'aplomb jusqu'à la prochaine contrariété.

« - Vous avez surement raison, il est évident que les bonnes gens de Forbach font état de beaucoup plus de délicatesse avec les leurs qu'avec les étrangers. »

Owen se resservit un demi-verre d'alcool. Il n'était pas alcoolique, non, ni même porté sur l'alcool. Il avait juste besoin de marquer le coup. Qui plus est, Owen tenait admirablement l'alcool, il avait réalisé cela lors d'un petit défi remporté dans un bar à une heure avancée de la nuit. Il laissa la bouteille non loin, avec une invitation du geste à la jeune femme qu'elle se serve si elle l'estimait nécessaire après avoir fini son verre.

« - Vous parlez-là très justement mademoiselle Gallois, mais je ne suis moi-même pas tout jeune et je suis loin d'être un excellent parti. Mais ne vous en faites pas pour moi, ma vie me convient parfaitement. Je ne saurais même pas vous dire si je ferai un mari convenable pour un femme, devait-elle m'aimer réellement ou non. »

Il fallait bien l'avouer, l'Enquêteur commençait à vieillir depuis un petit moment. Même avec sa bonne condition physique, il savait qu'il n'avait plus grand chose du fringuant jeune homme qu'il avait été plus de dix années plus tôt.

« - Il y a une différence entre refuser l'amour et ne pas le chercher. Je peux comprendre que vous ne désiriez pas prendre n'importe quel rustre pour époux, mais peut-être auriez vous pu chercher vous-même cet homme ? »Il posa son verre pas encore vide à côté de la bouteille. « - Voyez, moi, par exemple. Je ne cherche pas cette femme que vous me décrivez. Et croyez-moi, si je l'avais voulu, ma position m'aurait surement permis de trouver une femme que certains hommes auraient certainement désirés, mais aurait-il était galant de ma part de la vouer à telle vie ? Je ne crois pas. Non, peut-être vaut-il mieux que je reste seul. Après tout, j'ai passé la première partie de ma vie seul, la seconde ne devrait pas être plus difficile. Ne croyez-vous pas ? »

Prêtresse

Inès observa son hôte se servir un nouveau verre, et elle se leva pour faire de même. Elle sentait qu'elle avait besoin de se changer les idées. Peut-être qu'avec un peu plus d'alcool dans le sang, ses mauvaises pensées finiraient par partir. Elle savait que noyer ses problèmes dans l'alcool n'était pas une solution en soi, mais pour le moment, elle était en bonne compagnie, avec un homme qu'elle commençait à apprécier, et elle ne voulait pas que ses ruminations ne gâchent cette soirée.
Après s'être servie à boire, elle resta à côté d'Owen. Étrangement, la présence de l'enquêteur était rassurante, elle n'aurait su dire pourquoi, mais elle se sentait bien avec lui.
Elle avala une gorgée du liquide distillé tout en écoutant Owen déclarer qu'il valait sans doute mieux qu'il finisse sa vie comme il l'avait passée jusque là : seul. A ces mots, elle manqua avaler de travers.

"Vivre seul toute sa vie ? Mon Dieu, Owen vous y pensez vraiment ?"

Elle posa son verre à côté de celui de l'enquêteur et lui prit les mains.

"Personne ne devrait finir sa vie en solitaire, Loup de la Reine ou pas. J'ai vu des amis de mon père mourir sans personne à leur chevet, et croyez-moi tous regrettaient de ne pas s'être finalement mariés. Je ne vous souhaite vraiment pas de finir comme cela."

Sans lui lâcher les mains, elle ancra son regard dans celui de l'enquêteur et ses joues prirent une teinte rosée.

"Vous êtes un bel homme, et quand on apprend à vous connaître je sais que vous n'êtes pas aussi froid et distant que vous voulez le faire paraître. Vous pourriez aisément vous trouver une compagne, si vous le vouliez. Il doit bien exister une femme pour vous, tout comme je suis persuadée que l'homme de mes rêves existe bel et bien."

Les joues complètement écarlates maintenant, elle lui lâcha les mains et reprit son verre, son regard se perdant dans le liquide transparent. Ce fut avec une certaine gêne qu'elle poursuivit.

"Mais pardonnez-moi, je me mêle sans doute de ce qui ne me regarde pas..."

Enquêteur Royal

Vivre seul, cela était-il si gênant ? Owen gagnait bien sa vie et n'aurait sans doute jamais de problème jusqu'à ce qu'il trépasse, tranquillement dans son lit, ou bien d'une quelconque autre manière un peu plus brutale. Après tout, l'espérance de vie des Enquêteurs étaient généralement plus courte que celle du commun des mortels et, de ce côté-là, Owen était déjà presque un miraculé. Enfin, il devait admettre que John avait été un sacré ange gardien par moment. Ils n'étaient pas trop de deux pour assurer leurs arrières dans des situations délicates, notamment ce noble qui s'était amusé à faire croire à sa mort et sa résurrection pour semer la peur de l'occulte en ville. Il s'est avéré finalement qu'il était bel et bien vivant et on s'arrangea pour qu'il soit véritablement exécuté lors de sa seconde arrestation. Quelle enquête passionnante cela avait été ! Et puis peut-être cela valait-il mieux de mourir pendant l'exercice de ses fonctions. Owen ne se voyait pas vraiment finir ses vieux jours paisiblement. Il lui fallait de l'action, de la recherche et quoi de mieux pour cela que des énigmes morbides ? L'Enquêteur qu'il était fuyait l'inaction, autant physique que mentale. Il n'y avait rien de pire qu'un intellect inutilisé et qui pouvait ainsi réfléchir à tout et n'importe quoi.

Ce qui le surprit fut la réaction de la jeune femme lorsqu'il évoqua cette possibilité comme un avenir tout à fait envisageable. Oui il y pensait véritablement quel mal y avait-il à cela ? Il posa un regard rapide sur ces mains qui tenaient les siennes et replongea son regard dans celui qui le fixait tandis que des paroles tentaient de le ramener à la « raison ». On regrettait beaucoup de choses au chevet de la mort, Owen regretterait surement de ne pas avoir pu venger ses parents et surement d'autres choses oui, mais d'avoir vécu seul, non cela il ne le regretterait probablement pas. Lorsqu'elle passa aux « compliments », il eut un air interdit. L'espace d'un moment, il se demanda si elle pensait réellement ce qu'elle disait, mais il devait reconnaître que la façon dont ses joues se coloraient ne pouvait pas mentir. Il la laissa parler jusqu'à ce qu'elle se rende surement compte de son audace et décide de lâcher ses mains pour reprendre son verre pour y plonger son regard. Encore surpris, mais mi-amusé, Owen sentit la chaleur s'évaporer de ses mains. Il s'approcha de la jeune femme et d'un geste lent il leva doucement son menton pour qu'elle le regarde à nouveau avant de rompre le contact. Il l'avait accueilli avec un sourire et finit par dire:

« - Je peux comprendre votre volonté de me faire changer d'avis mais je ne partage pas cette idée de savoir qu'une femme, faite pour moi, m'attends probablement quelque part, peut-être même dans un endroit que je n'irai jamais visiter. »

Il eut un léger haussement d'épaules.

« - On regrette tous des choses au chevet de la mort. Certains vont jusqu'à se faire pardonner leur manque de religion et de foi pour s'assurer une place dans un paradis dont personne n'est venu pour attester de l'existence. Peut-être y sont-ils trop bien pour revenir en parler. Je pense que l'essentiel c'est de ne rien regretter lorsque l'on vit, peu importe que ce que l'on dira ou pensera au crépuscule de notre vie, plus rien n'y changera quoique ce soit. »

Mais il devait admettre qu'elle avait un peu chamboulé sa vision des choses. Il n'aurait su dire pourquoi exactement.

« - Par exemple, je pourrai surement vivre sans cela, mais je pense que je pourrai le regretter toute ma vie, alors je ne vois pas pourquoi je m'en priverais. »

Sans crier gare, il saisit les mains de la jeune femme, faisant tomber le verre par terre qui déversa le reste d'eau-de-vie sur le sol et ne cassa pas, par miracle, mais ce n'était pas le plus important, le plus important, c'était les lèvres de l'Enquêteur qui s'étaient placées doucement sur celles d'Inès.

Prêtresse

Lorsqu'elle sentit les doigts d'Owen soulever doucement son menton, elle ne résista pas et releva la tête vers lui. Il plongea à son tour son regard en elle, lui expliquant son point de vue. Il était certain de ne pas regretter de vivre seul jusqu'à la fin de ses jours. Puis il ajouta quelque chose que la jeune femme ne comprit pas tout de suite. Et sans crier gare, il lui saisit les mains, et elle laissa tomber son verre au sol sous l'effet de surprise. Avant qu'elle n'ait pu réaliser ce qui se passait, les lèvres de l'enquêteur se pressaient doucement sur les siennes en un chaste baiser.

A cet instant, mille et une pensées se bousculèrent dans l'esprit de la jeune femme. Il venait de lui dire que... Et pourtant, voilà qu'il... Mais comment devait-elle réagir face à ce baiser ? Devait-elle le gifler, outrée d'un tel comportement ? Ou bien au contraire lui rendre son baiser ? Il était si... imprévisible. Ne sachant pas du tout quoi faire - et l'alcool qui commençait à faire son effet n'aidant pas - elle le repoussa et le gifla, sans même y réfléchir.

La claque n'était pas bien forte, pourtant dans le silence de la pièce elle retentit comme un coup de fouet. Aussitôt, Inès regretta son geste.

"P... Pardon, je... Je suis désolée... Je ne voulais pas..."

Un silence gêné s'installa, mais quelques seconde seulement, car mue par une envie qui lui brûlait les entrailles, elle s'avança vers lui...
... Et à son tour, elle l'embrassa. Oui, réaction plus qu'étrange, mais elle ne savait plus vraiment ce qu'elle devait faire à cet instant. Ses émotions prenaient le dessus sur sa réflexion alors qu'elle passait ses bras autour des épaules d'Owen, oubliant son bras cassé qui commençait à peine à se rétablir. Elle non plus ne voulait pas avoir de regrets, et comme Owen, elle avait pris la décision de vivre le moment présent, rien de plus. Et pour l'instant, elle était dans ses bras, rien d'autre ne comptait. Et puis, si jamais il la repoussait, elle pourrait toujours mettre ce qui venait de se passer sur le compte de l'alcool...

Pauvre Owen ! La soirée qu'il passait devait être décidément bien étrange... Finalement, le baiser eut une fin. Qui de lui ou d'Inès l'interrompit ? Peut importait alors. Le silence gêné revint, mais c'était une gêne différente cette fois, comme si l'on était conscient d'avoir fait quelque chose que l'on aurait certainement pas fait en d'autres circonstances. Etait-ce bien ? Etait-ce mal ? Nul n'aurait pu le dire à cet instant.
La jeune femme s'humecta les lèvres tout en ramenant une mèche de cheveux rebelle derrière son oreille, et détourna le regard d'Owen.

"Je... hum. Je devrais peut-être rentrer, non ?"

Sa voix prononçait ces mots, mais lorsqu'elle porta ses yeux sur le Loup de la Reine, son regard disait qu'elle voulait rester. Pourtant, si elle restait, qu'allait-il se passer ? Ils allaient devoir parler de ce baiser, et en avait-elle réellement envie ?
Ses jambes n'allaient pas tarder à la lâcher. C'est qu'elle était sensible, la p'tite dame ! Alors qu'elle venait d'énoncer la possibilité pour elle de partir, elle retourna s'asseoir sur le lit, au moins le temps de se calmer. Elle n'osait plus regarder Owen dans les yeux, de peur qu'il lui dise que ce baiser était tout ce qu'ils échangeraient...

Enquêteur Royal

Pourquoi avait-il fait ça ? Une bonne question n'est-ce pas ? Pourquoi, lui qui était persuadé de préférer une vie de célibataire, avait tout d'un coup choisi de faire ce geste insensé ? Une réponse toute faite était simple : le goût de l'aventure. Face à une femme autre qu'Inès, cela ne se serait probablement jamais présenté, mais elle était si différente, il aimait beaucoup de choses chez elle et il ne s'était rendu compte de la sensation agréable de ses mains tenant les siennes que lorsqu'elle avait cessé de le faire. Ce n'était pas un retournement de situation non, il pensait toujours qu'il valait mieux pour lui de vivre seul, mais qu'est-ce que cela coutait d'essayer ? Il n'avait rien à perdre, si ? Comment pouvait-on perdre quelque chose ? Rien n'était mis en jeu, pas d'argent, des sentiments ? Pour aimer, il y en avait forcément, mais ses sentiments n'étaient pas encore véritablement développés, s'il devait perdre quelque chose, ce serait comme casser un oeuf, ce ne serait rien de dramatique.

Voilà pourquoi il s'était jeté à l'eau. L'aventure, l'absence de risque. Il dut admettre que la sensation était des plus étrange, et il était parfaitement lucide pour s'en rendre compte. Toutefois, cette sensation fut brève et ne dura qu'un instant. Comme la logique le voulu, elle le repoussa vivement et le gifla. La tête tournée dans un réflexe, le coup n'avait pas été fort mais au moins il avait le mérite d'être explicite. Il s'attendait d'ailleurs à la voir furibonde, dans une colère noire, mais ce ne fut pas le cas. Elle alla d'ailleurs jusqu'à vouloir s'excuser, alors qu'en toute logique, c'est lui qui aurait dû le faire. Il allait d'ailleurs la contredire lorsqu'elle s'avança vers lui et l'embrassa à son tour.

Rendu muet, c'était à son tour de se poser quelques questions. Sa raison, comme propulsée hors de son corps, semblait observer la scène et tenter de comprendre. De comprendre pourquoi cette femme l'avait giflée avant de se jeter dans ses bras et l'enlacer dans un baiser passionné. Owen, lui, ne cherchait pas à comprendre, il n'y avait que sa raison qui cherchait à mettre une logique sur tout cela. Pour une fois, l'homme et la logique ne faisait plus un. L'enquêteur découvrit la non rationalité des sentiments, de l'irrationnel de la passion. C'était des choses grisantes, « intéressantes » d'un certain point de vue. Pourtant, il n'y avait pas de réflexion, juste des gestes, des sensations. Ces derniers s'interrompirent finalement. Après quelques secondes, quelques minutes, quelques années ? Il n'aurait pu faire réellement la différence. Pendant ce laps de temps indéterminé, il était rentré dans un autre monde, un monde où il n'y avait pas de temps.

Revenant à la réalité, il regarda la jeune femme s'écarter et remettre en place une mèche rebelle. Le silence était un écrin fantastique. Petit à petit la raison réintégrait le corps d'Owen. C'est d'ailleurs surement ce qui lui permit de se rendre compte qu'elle ne pensait pas ce qu'elle disait. Bien entendu, si elle désirait rentrer, il ne l'aurait jamais retenue, mais cela ne semblait pas être le cas. Il la regarda s'installer sur le lit, elle semblait essayer de reprendre son calme. Pour Owen, c'était déjà le cas. Son esprit cartésien essayait déjà d'analyser tout ce qu'il venait de se passer, il ne pouvait pas s'en empêcher, il était ainsi fait. Il se tourna vers la fenêtre et finit par prendre la parole à son tour:

« - Il se fait tard et, par les temps qui courent, je m'en voudrais de vous laisser repartir seule. Vous pouvez dormir ici, vous prendrez mon lit, je pense que je n'en aurais pas besoin de toute façon. »

Il se retourna vers elle:

« - A moins que vous ne désiriez tout de même partir, auquel cas je vous accompagnerais, c'est une condition sine qua non. »

Prêtresse

Après qu'elle se fut installée sur le lit, le silence s'installa, pesant. Elle ne comprenait toujours pas ce qui lui avait pris de répondre à ce baiser. Comment pouvait-elle tomber si vite dans les bras d'un homme - finalement presque un inconnu pour elle - alors qu'elle s'était faite agressée par un monstre si peu de temps auparavant ? Peut-être que la réponse était simple : il l'avait sauvée, elle s'était attachée à lui pour cette raison. Non, il s'agissait d'autre chose, elle en était convaincue. Le souci, c'est qu'elle ne savait pas quoi.
Alors qu'elle était perdue dans ses pensées, ses doigts touchant machinalement ses lèvres, comme si elle y sentait encore la chaleur et le goût de celles d'Owen, ce dernier prit finalement la parole pour lui proposer de rester pour la nuit... Ou de la ramener, c'était à elle de choisir. Cruel dilemme que celui-là. Devait-elle accepter l'invitation ? Elle savait que si elle dormait chez lui, il serait assez galant pour ne pas la toucher. Après tout, il en avait déjà eu l'occasion et n'avait alors rien fait. D'un autre côté, avec ce qui venait de se passer entre eux, elle n'était même pas certaine d'arriver à dormir. Ses pensées étaient trop incohérentes pour ça.

Finalement, au lieu de lui répondre, elle se leva et s'avança vers lui, sans toutefois le rejoindre. D'une voix qui se voulait assurée, elle lui demanda :

"Avant de décider de ce que je fais, j'aimerais vous poser une question..."

Ses joues rougirent de nouveau.

"Suis-je la seule à avoir ressenti quelque chose lors de notre... baiser ?"

Malgré sa gêne, cette fois elle ne le quittait pas du regard. Elle voulait savoir si elle se faisait des illusions ou non. De la réponse d'Owen découlerait sa décision de rester ou non.
Elle espérait qu'il lui avoue ressentir quelque chose pour elle. Après tout, il avait fait le premier pas. Elle s'était "contentée" de suivre... Oh, Seigneur ! Que c'était compliqué ! Tout s'embrouillait dans son esprit. Elle avait peur de perdre Owen après ce qui venait de se passer. Et s'il préférait ne plus la revoir, pour éviter que cela se reproduise ? S'en remettrait-elle ? Elle était forte, mais cet état de faiblesse sentimentale était si nouveau pour elle...
Avant qu'il n'ait eu le temps de répondre, elle s'empressa d'ajouter :

"Pardonnez ma question, c'est stupide..."

Elle secoua la tête, comme si elle était persuadée qu'il allait lui répondre que non, il n'avait rien ressenti, et commença à prendre son manteau, l'air attristé. Elle était convaincue qu'il n'attendait rien d'une relation avec elle. Même si son coeur lui hurlait de rester avec lui, son esprit lui disait que non, que c'était inutile, qu'elle se faisait des illusions...