Soupir près une stèle

Oblivius

Le temps n'avait plus lieu d'être en cette fin de journée pluvieuse. Les passants se faisaient rares alors que les bruits, eux, semblaient s'emplifier au fur et à mesure que le temps s'écoulait, d'heures en heures. Cette journée parraîssait s'éterniser sous les craquements sinistres des branches et sous les hululements des hibous. De grands oiseaux aux plumes noires tout comme ces petits volatiles bleus survolaient les massures, rejoignants un lieu plus sec et sans doute plus confortable. L'atmosphère, quant à elle, semblait s'enivrer de cette froideur qui montait en crescendo aux alentours de Forbach. Une ambiance qui poussait la jeune Lys à s'évaporer de sa fabrique de pain aux effluves qui n'arrêtaient pas de lui refiler des mals de tête poignants. Ces derniers jours, d'ailleurs, elle vivait avec une migraine hors du commun. Si elle l'aurait put, elle se serait envolée à dos d'ange pour ne plus revenir dans cette vie dont la passion avait arrêtée de s'infiltrer par les pores de sa peau. Avide de découverte, avide de quête, ses quelques recherches personnelles sur la Sorcellerie de Forbach allaient finir par lui causer des ennuis.

S'élançant tel un chat en furi vers les bois à la recherche du silence, seul les rires de son frère décédé lui donnait des tourments. Peut-être avait-elle négligée un peu trop la tombe de son adoré bienfaiseur et que sa propre conscience lui en voulait. C'était sur cette forme de pensée que la jeune Gehenne s'était retrouvée face à l'église, la pluie sur ses vêtements et les yeux tourmentés. Depuis combien de temps n'avait-elle pas été harcelée par ces pensées troublantes? À la normale, Lys ne s'en laissait pas imposer par de vulgaires peurs ou qu'importait ses croyances sur le monde d'après, mais ce jour-ci semblait s'avérer différent.

Plantée à quelques mètres de l'édifice, la silhouette de la jeune femme semblait presque irréelle sous la pluie battante, alors que ses pensées se transformaient en songes. La dernière fois qu'elle avait pénétrée dans l'enceinte de la Sainte église, c'était lorsqu'elle était encore enfant et que la famille l'y oubligeait pour prier à toutes les semaines ainsi que lors des fêtes. Elle regarda, analysa la chapelle. Elle y rechercha ce qui faisait de cette construction humaine cette peur qu'elle avait au creux de l'estomac. Une peur irrationnelle. Quelqu'un passa à la belle course derrière elle tout en restant surpris de la présence mystérieuse de la jeune femme. Ce devait sans doute être la première fois que l'un des habitants de Forbach voyait ladite « folle » sortir dans le village depuis au moins une année complète. Même pour y vendre ses produits, elle préférait embaucher des passants pour qu'ils veuillent bien les vendres au village à sa place. Mais ce n'était un secret pour personne : Lys était sur le point d'abandonner son travail pour se transformer en l'un des majestueux chènes qui poussaient dans la forêt. Éternelle ombre qui survolait le village, elle savait tout d'eux, mais eux ignoraient tout d'elle.

Son dileme était toujours en processus. Sa douce silhouette vacillait doucement au gré des bourrasques de vent, son regard s'évanouissant derrière un rideau de nostalgie. Entièrement trempée jusqu'aux os, la douce demoiselle s'avança d'un pas décidé vers le lieu de sa convoitise. Une démarche lente la qualifiait, alors qu'un vague sourire victorieux se dessinait sur ses lèvres blanches.

La stèle était là, juste devant elle. Petite et chétive, les moyens de sa famille n'avait put faire plus qu'une pierre difforme apposée à même le sol. Elle pénétra dans ce lieu de repos éternel, se sentant libérée d'un poid qu'elle s'était sans doute créée elle-même durant ces dernières années. Certaines gravures y étaient inscrites, s'en tenant uniquement à l'essentiel. Son regard aussi lourd de malice que les nuages fixaient les lettres une à une, semblant leur trouver une nouvelle signification à toutes les fois qu'elle les revoyait. S'abaissant jusqu'au niveau du sol, ses doigts délicats vinrent toucher les lettres et les chiffres, dernier hommage qu'elle pouvait lui rendre. Sans aucun mot prononcé, elle se redressa et scruta pour la première fois depuis qu'elle était entrée ce qui était autour d'elle. Pas grand chose d'exceptionnel, mise à part les autres pierres tombales recelant eux aussi leurs mystères incandescents.

Un bruit.

C'était le temps pour elle de quitter l'endroit. Quelqu'un venait sans doute pour se recueillir également et la présence d'autruit avait la facheuse tendance à lui donner des insultes gratuites. Ainsi, d'un pas rapide, elle marcha la tête haute mais les pupilles remplient de nostalgie vers la sortie, où, comme elle l'avait présagée, une personne venait. Pressée dans sa démarche qu'elle tentait malgré tout aisée, Lys frôla la silhouette sans y prêter attention, son visage de poupée de porcelaine gardant cet expression d'indiférence mèlée à une nostalgie qui commençait à lui donner une paix intérieure.