Malgré toute l’argumentation déployée par David pour détourner sœur Béatrice de sa folie, celle-ci ne semblait pas décidée à lâcher prise. Il en était sûr désormais: bien qu’elle feignit de comprendre son point de vue, elle n’avait pas pour autant renoncé à ses griefs et ses tentatives contre Louisa Zimmerman. Ce que le jeune homme ne savait pas en revanche, c’était que ces griefs allaient loin, au point de se faire radier de l’ordre des carmélites même si c’était nécessaire. Mais si Aphrodite commettait une faute suffisante pour que son ordre religieux la répudie, il en serait de même pour l’Inquisition! C’était de l’entêtement. Ni plus ni moins.
Il sourit de toutes ses dents.

"Personne ne t’arriverai à la cheville! C’est vrai, il faut absolument que tu restes. Alors je t’aiderai."

Un retournement de veste digne des plus grands romans, n’est-ce pas? Il y avait encore une poignée de secondes, David tentait désespérément de faire renoncer Béatrice. Mais dès la seconde même où il avait définitivement compris qu’elle ne reculerait pas, il avait sû au fond de lui qu’il ne pourrait rien faire d’autre que lui apporter son soutien. Il était son ami, que diable! Et ils venaient en outre de se retrouver. Si il la lâchait maintenant, rien n’aurait plus de sens! Le jeune homme continuait à penser que c’était une idée stupide, très imprudente et dangereuse; mais il était résolu de l’affronter avec Aphrodite.

"Si tu tentes quelque chose, il faudra s’attendre à des représailles de la part du Baron. Je serai avec toi pour lui faire face."

Il s’aperçut soudain que son retournement de situation devait paraître singulièrement surprenant et injustifié aux yeux de la jeune fille, aussi il entreprit de s’expliquer.

"Je sais… je disais le contraire à l’instant. Mais là, c’est différent. Je ne veux pas perdre une amie, je suis très motivé."

Oui, car si le scénario catastrophe que David prophétisait se produisait vraiment, et que la jeune femme était contrainte de quitter les rangs de l’Inquisition, ce ne serait pas seulement la présence physique de Béatrice qu’il aurait perdu, mais aussi sans doute une part de son amitié.

Béatrice ouvrit de grands yeux ronds alors que David lui annonçait qu'il l'aiderait à rendre justice. N'avait-il pas dit le contraire quelques secondes plus tôt ? N'était-il pas prête à tout pour qu'elle abandonne son idée de vengeance ? Et voilà que maintenant il changeait d'avis ! Elle sourit et prit la main de son ami dans la sienne, plongeant son regard glacier en lui.

"David... Je ne peux pas te demander d'assumer les conséquences de mes actes, ce serait si égoïste ! Je sais que tu veux m'aider, et crois-moi ça me va droit au coeur, mais je refuse que tu prennes des risques inutiles pour moi. Même au nom de notre amitié."

Vraiment, elle tenait profondément à lui et ne voulait pas voir l'avenir du jeune homme brisé à cause d'elle.

"Et puis, il n'y aura peut-être pas de représailles... Le Baron m'a semblé être bien plus sensé que sa femme. J'irai le voir et je lui expliquerai la situation avant d'engager quelque poursuite que ce soit à l'encontre de Louisa Zimmerman. Tout ce que je veux, ce sont des excuses. Peut-être parviendra-t-il à la convaincre de s'excuser..."

Oui, bon, d'accord. Elle était sans doute un peu trop optimiste. Mais que voulez-vous, ainsi était sa nature, à toujours voir les bons côtés de l'humain.

"En tout cas, je te remercie pour ton soutien, mon David."

Elle déposa un baiser sur la joue du jeune homme, innocemment, comme lorsque l'on est encore un enfant. Puis elle reprit son air sérieux et lâcha la main de son ami.

"Si le Baron ne parvient pas à convaincre sa femme de me présenter des excuses, ou bien s'il refuse, je la ferai mettre aux cachots quelques jours, jusqu'à ce qu'elle change d'avis. Après tout, la loi et de mon côté. Son mari a bien vu qu'elle m'étranglait quand il est arrivé dans la pièce. Il est le seul témoin, et vu que l'affaire concerne sa femme il ne sera sans doute pas impartial, mais il ne pourrait mentir devant un tribunal..."

Elle espérait que ça n'arrive pas jusque là. Pourtant, si tel était le cas, elle savait que Romain Zimmerman n'aurait d'autre choix que de dire exactement ce qu'il avait vu lorsqu'il avait pénétré comme une furie dans la pièce. Sa femme, étranglant une inquisitrice. De toute façon, les marques sur la peau de la jeune femme étaient bel et bien réelles, et David pourrait en témoigner, ainsi qu'une demi douzaine d'autres inquisiteurs... Oui, elle était dans son droit, et elle le savait. La loi et Dieu, étaient avec elle...

Le brusque retournement de veste de David ne manqua pas de surprendre sœur Béatrice (une réaction parfaitement légitime). Et c’est avec une nouvelle pointe de fierté et de soulagement qu’il entendit son amie le prier de ne pas prendre de risques inutiles, car elle tenait à ce qu’il garde sa situation. Une telle sollicitude le touchait et l’amusait à la fois; Aphrodite était quelqu’un de très indépendant et, en cette époque archaïque, une telle attitude en aurait hérissé plus d’un. Le jeune homme lui s’en foutait comme d’une guigne et ne la voyait que comme ce qu’elle était réellement: la camarade enjouée et à l’esprit libre, qu’il avait retrouvé peu de temps auparavant.

"Ne t’en fais pas pour moi" sourit-il à son tour, "je suis le fils du Second." Certes, cela ne le mettait pas à l’abri de tout mais autant faire jouer les relations lorsqu’on en avait besoin, non?

Il fut surtout rassuré de voir que malgré les apparences, sœur Béatrice ne foncerait pas dans le tas tête baissée ainsi qu’il l’avait cru; la jeune femme semblait au contraire avoir l’ébauche d’un plan et envisagea devant lui l’idée de s’adresser à l’époux de la couturière du fil blanc. David approuva du chef, soulagé qu’elle ait abandonné ses idées de revanche extrémistes.

"Oui. Le Baron de Rosbruck est quelqu’un de raisonnable qui se tient à l’écart des ennuis. Ta meilleure stratégie est de trouver un bon compromis, bien diplomatique, avec lui." Ainsi, les deux parties seraient satisfaites. Car le Baron pouvait devenir dangereux dès le moment où il comprendrait que quelqu’un était décidé à ne pas lui faire de quartiers. A ce moment là, la riposte pouvait faire très mal et Romain Zimmerman ne s’embarrasserait plus avec sa nature sociable –du moins, telle était l’intime conviction de David et ses mauvais présages.

Il s’était attendu à pas mal de choses, mais pas à cette démonstration d’affection pleine d’une délicate candeur que lui offrit Aphrodite. Après s’être dressée sur la pointe des pieds, la demoiselle avait en effet déposé un baiser sur sa joue, comme si les années les ayant séparées n’étaient qu’un rêve. Et David sut à cet instant que leurs retrouvailles, mais plus encore leur amitié, était scellée. Toujours fermement décidé à soutenir sœur Béatrice quoi qu’elle entreprenne si il s’avérait qu’elle ait besoin d’aide, le jeune homme ouvrit la porte de la petite salle d’interrogatoire et invita d’un sourire son amie à le suivre au-dehors.

"Laissons ça pour le moment. Je t’emmène boire un verre."

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HRP: on clôt? ^^ mais si tu veux ajouter quelque chose je t'en prie